Écriture

  • Pays d'origine : Allemagne
  • Titre original : Protection
  • Date d'écriture : 2005
  • Date de traduction : 2015

La pièce

  • Genre : drame
  • Nombre d'actes et de scènes : I. Protection : 14 scènes / II. Fantômes : 13 scènes / III. Les yeux de Nazife : 19 scènes
  • Nombre de personnages :
    • 6 au total
    • 4 homme(s)
    • 2 femme(s)
  • Durée approximative : 1h30
  • Domaine : protégé (© Agence Althéa / Éditions Théâtrales)

Édition

Cette traduction n'est pas éditée mais vous pouvez la commander à la MAV

Résumé

I. Protection
Pendant la journée devant une station du métro berlinois, Lucy joue la contrebasse devant les passants. La nuit, elle dépose son instrument dans un bar pour dormir dans son étui. Ross, lui, dort dans un asile pour sdf. Il observe Lucy, la suit dans ses errances rituelles à travers un Berlin fantomatique, il remarque comment la maladie la détruit, comment elle décline en plein été, et développe pour elle un sentiment d’amour. Elle le repousse systématiquement. Un rapprochement prudent, pudique, à peine perceptible, s’esquisse entre ces deux marginaux : Ross protège Lucy sans qu’elle s’en rende compte, et il tente finalement de lui adoucir sa dernière heure : il l’emmène dans son étui à travers la ville jusqu’à une colline dans un parc, au soleil. Un geste de Lucy semble répondre, enfin, à son amour.

II. Fantômes
Deux hommes dans un club homosexuel. Il y a quelques années, ils ont eu une relation passagère. Mais aujourd’hui seul Marco reconnaît Marc, son ex-amant. Marc a beaucoup changé à la suite d’un accident. Il cache sa jambe artificielle sous des larges pantalons en lin. Un handicap n’est pas sexy ! Une lutte pénible pour sauver les apparences s’engage entre eux. Leurs vies antérieures ne sont plus que des fantômes. Marc s’intéresse à ce curieux inconnu, mais il craint la confrontation, et surtout de devoir révéler son handicap. Au moment où la rencontre va enfin avoir lieu, Marc s’enfuit.
A-t-il reconnu Marco juste avant de quitter le club précipitamment ? Les moindres mouvements intérieurs et extérieurs des deux hommes sont décrits avec la minutie d’une chorégraphie quasiment immobile.

III. Les yeux de Nazife
Une méprise : Leon se rend à une fête masquée, mais il ne sonne pas à la bonne porte. Nazife lui ouvre, c’est une jeune turque issue de l’immigration. Est-ce un coup de foudre ? Par hasard les deux jeunes gens se rencontrent de nouveau le lendemain matin devant les poubelles. Nazife descend la sienne, Léon quitte la fête et s’apprête à rentrer chez lui. À partir de cet instant, tout semble aller très vite. Nazife lui propose de monter chez elle. Ils font l’amour. Mais Nazife, jadis victime d’humiliations racistes et d’un viol de la part de jeunes allemands, demande à Leon de reproduire la situation traumatique qu’elle a subie avec une morbide exactitude. Leon est effrayé par ses demandes mais finit par lui obéir, tout s’emballe alors jusqu’à ce que Leon, apparemment si doux, se déchaîne dans la violence. Et laisse probablement Nazife morte.

Regard du traducteur

RETABLE DE L’AMOUR
Alors que nous terminons la traduction de « Protection » d’Anja Hilling, nous nous posons la question de savoir comment parler de cette pièce qui sait bien garder ses secrets, peut-être encore plus que dans d’autres pièces de notre auteur favorite... Ceci vient-il de la forme ramassée de ce texte qui impose à l’auteur une densité particulière ? Et d’ailleurs ne devrait-on pas écrire « ces textes », puisqu’à vrai dire il s’agit de trois pièces apparemment indépendantes ?
Ce qui nous vient immédiatement à l’esprit c’est qu’elles forment (comme chez Pouchkine) trois « petites tragédies ». Mais « petites » ne veut dire ni courtes ni mineures. « Petites » implique ici des tragédies à deux personnages. Chacune d’entre-elles dure entre trente et trente-cinq minutes. J’aurais presque envie de dire qu’il s’agit de duos tragiques et même de « pas de deux », tant le mouvement intérieur des êtres en jeu ici a besoin d’un mouvement extérieur qui dépasse le mouvement habituel d’un spectacle de théâtre. Il se passe tellement de choses entre les mots des protagonistes…
Point de situations dans ces textes, mais chaque fois deux situations « intérieures » qui évoluent ou pas, selon les mouvements de l’action, l’une avec l’autre. Mais dans tous les cas, deux situations intérieures observées du dedans, écoutées du dedans, auscultées pourrait-on dire.
Nous ne nous aventurerons pas pour autant à parler de monologues intérieurs, puisque le discours de chaque être se mêle au dialogue avec l’autre, et même souvent avec celui d’un troisième personnage absent.
Impossible de parler aussi de « conflit » ou de « confrontation » ! Aucune trace de ceci dans la manière d’Anja Hilling d’envisager la tragédie. Ce sont des rencontres d’êtres inadéquats et qui pourtant seraient indispensables à la survie des deux êtres qui sont chaque fois mis face à face.
Venons-en donc à la définition de ces « personnages » ou de ces « âmes ». D’abord un homme et une femme, Lucy et Ross, qu’on pourrait définir comme des SDF. Il la cherche, elle le fuit. Elle est malade, il veut protéger les derniers jours de sa vie. Ensuite, Marc et Marco se retrouvent après des années dans un club homo. Marc cherche à masquer un handicap, Marco aimerait renouer une relation, Marc ne veut pas révéler son secret, ils se ratent. Enfin le hasard fait se rencontrer Leon et Nazife. Le hasard d’un coup de foudre se transforme en violence et s’ensuit probablement le meurtre de Nazife.
Hasard, recherche, fuite, violence et meurtre dessinent ici une étonnante carte du tendre, une recherche impérieuse de l’amour et de la protection, de laquelle chacun sort vivant ou mort, mais de toute façon perdant. Si cela était du théâtre « psychologique », on n’irait pas au bout de la lecture de « Protection », mais il s’agit d’un théâtre funambulesque dans lequel la moindre parole se fait poésie et appelle le geste adéquat, comme « entre chien et loup » à l’heure où l’on ne distingue plus très bien à qui l’on a affaire, à l’heure où la voix prend une importance essentielle dans la recherche de reconnaissance de l’autre, ou de la crainte et de la fuite de l’autre.
L’ensemble de ce théâtre étrange forme un curieux « collier » et finit par raconter tout autre chose que des histoires intimes. Ces trois textes finissent par représenter un tableau en forme de triptyque de « l’amour aujourd’hui dans la grande ville ». Anja Hilling laisse entendre dans ses didascalies qu’il s’agit de Berlin, mais cela pourrait être Paris ou Londres, ou n’importe quelle ville de l’Europe contemporaine dans lesquelles nos solitudes se referment sur elles-mêmes.
Ces quelques idées et considérations étaient présentes à notre esprit alors que nous commencions les premiers essais de traduction. Etant donné la charge poétique particulière des trois pièces et du titre, mais aussi la concentration essentielle des mots, il nous a paru utile de coucher ces impressions sur le papier pour nous aider à en sonder le mystère.

Silvia Berutti-Ronelt
Jean-Claude Berutti