L'Art de la chute

de Sara Stridsberg

Traduit du suédois par Marianne Ségol-Samoy

Avec le soutien de la MAV

Écriture

  • Pays d'origine : Suède
  • Titre original : Konsten att falla
  • Date d'écriture : 2015
  • Date de traduction : 2017

La pièce

  • Genre : théâtre contemporain
  • Nombre d'actes et de scènes : 15 scènes + 1 épilogue
  • Décors : décor unique
  • Nombre de personnages :
    • 3 au total
    • 1 homme(s)
    • 2 femme(s)
    • 2 actrices, 1 acteur/trice jouant 10 rôles (femmes et hommes)
  • Domaine : protégé, L’Arche

Édition

Cette traduction n'est pas éditée mais vous pouvez la commander à la MAV

Résumé

Cette pièce prend comme point de départ la vie d’Edith Bouvier Beale et de sa fille Edith, deux Américaines du grand monde qui se sont progressivement marginalisées. Les deux femmes, respectivement tante et cousine de Jackie Kennedy, vivent alors dans un manoir de 28 pièces en délabrement au cœur d’East Hampton, la station balnéaire des riches new-yorkais.

Sara Stridsberg s’inspire de leur vie et nous en propose une variation.

Nous sommes dans un lieu au-delà du «normal», le lieu de l’enfermement où la vie de deux femmes est en cours, dans une attente constante, entre ennui et angoisse, et des scènes de querelles répétitives à en devenir absurdes. La Mère (79 ans) et La Fille (56 ans), ayant autrefois fait partie du grand monde, vivent aujourd’hui recluses dans leur manoir de dix-huit pièces devenu taudis et infesté de mouches, de chats, de ratons laveurs. Toutes les deux vivent en dehors de la réalité. Marginales, anticonformistes, elles ne songent qu'à leurs ambitions artistiques auxquelles elles n'ont jamais renoncé et ne meublent leurs journées que de danses, de chansons et de disputes.

La Mère et la Fille sont en chute libre et vivent dans la décadence totale. Elles sont ruinées, l’électricité peut être coupée à tout moment. Mais là, dans leur propre royaume, elles rejettent d’un geste indolent les lois, les normes et chutent avec grâce.

Régulièrement, différents personnages (joués par un/e seul/e acteur/trice) viennent leur rendre visite : Jackie Kennedy, les frères Bouvier, un journaliste, un ministre de l’intérieur, des anciens amants. On navigue alors entre le rêve et la réalité.

Regard du traducteur

Comme tout le temps dans ses romans et ses pièces, Sara Stridsberg s’inspire de personnages féminins réels ou de figures emblématiques de la littérature. Ses œuvres, à l’image de son roman le plus connu La Faculté des rêves (le personnage principal étant Valerie Solanas, la féministe américaine et auteure du SCUM Manifesto, qui a tenté d’assassiner Andy Warhol), donnent une place centrale à la destinée des femmes. À travers toutes ces figures, elle donne une voix à la femme mais aussi à la marginalité.

Ici c’est surtout la relation mère-fille que Sara Stridsberg met en avant et aussi la place de la femme dans une société patriarcale et sa destinée dans ce monde. La féminité peut être dangereuse si l’on croit l’expression selon laquelle tout ce qui est beau doit périr, mais la féminité peut aussi être un acte subversif. Sara Stridsberg nous transporte dans l’intimité de deux femmes au mode de vie irréel, entre démence et poésie.

Les thèmes centraux de la pièce sont la relation mère-fille, la marginalisation, le désir de se libérer des entraves, des interdits, de la domination que subit la gent féminine du fait de son « sexe ».

Ce qui intéresse aussi l’auteure c’est la vanité de ces deux femmes vivant dans la misère. On peut les imaginer privées de tous leurs droits et de toute liberté : la fille vivant avec sa mère, les deux femmes ne maitrisant plus rien dans leur maison. Mais bien qu’elles soient totalement ruinées, qu’elles vivent dans une misère extrême, qu’elles soient méprisées par le tout East Hampton, un vent de liberté souffle sur elles. Ces deux femmes se trouvent dans une sorte de prison, mais sont paradoxalement libérées de toutes les contraintes de la vie : du travail, du mariage, des conventions sociales. Elles sont à la fois en chute libre et dans une totale liberté. Elles se sont construit un monde à elles où leur seul lien avec la réalité passe par les visites du service de l’hygiène et par les journaux. Leur unique peur est de devoir quitter la maison et, par conséquent, que la bulle qu’elles se sont fabriquées, explose.

L’excentricité devient ici théâtre, un masque derrière lequel se cacher mais aussi pouvoir exprimer ce qui fait souffrir. L’humour, l’autodérision, la mise en lumière de destins hors normes, la monstruosité des personnages, leurs désirs insatiables de reconnaissance
 et d’amour caractérisent cette pièce. On retrouve ici l’écriture de Sara Stridsberg à la fois violente, trash et poétique qui joue avec les contrastes entre ombre et lumière, entre pureté et obscénité. La sexualité, le rapport au pouvoir, la provocation, le féminisme, la question du genre, la société patriarcale étouffante, la solitude incurable de l’âme : autant de thèmes que son écriture dissèque.

« Tout roman est un cercueil. L’auteur détruit ses personnages en même temps qu’il les décrit, qu’il leur donne vie. En voulant sortir du cercueil, en voulant apprendre à voler, le personnage devient le symbole de l’émancipation des femmes ».  Sara Stridsberg