La Maison vide

de Malina Prześluga

Traduit du polonais par Agnieszka Zgieb

Avec le soutien de la MAV

Écriture

  • Pays d'origine : Pologne
  • Titre original : Pustostan
  • Date d'écriture : 2014
  • Date de traduction : 2022

La pièce

  • Nombre d'actes et de scènes : 8
  • Nombre de personnages :
    • 7 au total
    • 3 homme(s)
    • 3 femme(s)
    • 1 chien
  • Durée approximative : 120 mn
  • Création :
    • Période : 18 février 2017
    • Lieu : Teatr Współczesny Szczecin
  • Domaine : protégé

Édition

Cette traduction n'est pas éditée mais vous pouvez la commander à la MAV

Résumé

Chaque personnage de La Maison vide (mère, père, fils, fille, grand-mère, chien) vit sa propre histoire, pathétique et caricaturale voire grotesque. En apparence, ils forment une famille, mais en réalité, ils sont comme des boîtes en carton fermées, chacune remplie de bibelots, de souvenirs médiocres et de débris qui n’ont d’importance que pour eux. Ils sont incapables de vivre une relation avec l’autre, de profiter de l’amour, ou de l’endroit où ils vivent. Fermés et emmurés par leur ressentiment envers les autres et le monde, ils se perdent dans les différentes strates du langage où se mêlent stéréotypes, religion, tradition, télévision, mots d’espoir et de vide.

Dans cette vacuité omniprésente, un mystérieux Visiteur fait irruption. S’agit-il du Sauveur lui-même qui est redescendu sur terre pour sauver cette famille de ses péchés et la libérer de la souffrance, ou est-ce un étranger non invité qui s’est présenté à la table familiale sans raison ?

L’invité reste silencieux, tandis que la famille commence à dresser une liste de souhaits combinée à des démonstrations de la famille dite idéale. Puis, avec encore plus de brio, les protagonistes dévoilent un énorme chagrin, un sentiment d’inassouvissement et de peur enfoui depuis des années : tout ce que l’on aimerait pouvoir faire avec nos proches si seulement on savait comment. L’invité, tel un catalyseur, libère soudain toutes les émotions refoulées, qui s’enchaînent en une série d’absurdités, se terminant par un coup de feu sur la grand-mère. Puis, vers la fin de la pièce, advient un étrange « passage de l’autre côté », qui n’est ni un salut, ni une libération de l’existence de toute cette famille en souffrance. À la place, la grand-mère, arrivée au terme de sa vie dit adieu à la maison dans laquelle personne ne vit plus depuis des années sinon elle et son chien. Le vide relationnel se fait vide matériel. Tout lien familial et jusqu’à la présence d’êtres chers sont amèrement et crûment niés.

Regard du traducteur

Qu’est-ce qu’une famille aujourd’hui ? Que se cache-t-il derrière la façade de nos maisons ?

La Maison vide est un drame familial qui se déroule la veille de Noël. Une famille comme tant d’autres (parents, enfants, grand-mère et chien) se retrouve autour de la table. La chaleur et l’amour laissent place, peu à peu, aux sentiments d’injustice et de solitude, aux accusations mutuelles et au ressentiment. Malina Przesluga dépeint brillamment l’effondrement de la cellule familiale par le biais de l’effondrement du langage. Ses personnages ne cherchent ni la communication, ni la compréhension mutuelle. De fait, ils ne dialoguent pas. Ils sont prisonniers de réflexions qui ne contribuent en rien à saisir la vérité sur eux-mêmes. Chacun ne parle que de lui, en s’enfonçant de plus en plus dans un état de vide émotionnel et spirituel. Seule la grand-mère s’avère apte à exprimer des sentiments d’amour, tandis que le chien aime inconditionnellement, car il n’attend rien en retour. L’arrivée d’un visiteur mystérieux déclenche des réactions imprévisibles. Il est celui qui pourrait les sortir du marasme et de l’angoisse. Cependant, la toile familiale n’est pas facile à démêler... 

Le titre Pustostan, vient dans la langue polonaise des mots (pusty) vide et (stan) état. Il a une double signification : d’un côté il désigne de façon neutre un logement inoccupé, immeuble (maison ou appartement) libre de locataires, et de l’autre, il renvoie de manière méprisante et familière à une personne menant une vie dépourvue de pensée profonde, de valeurs supérieures et d’objectifs. Trouver un strict équivalent dans la langue française n’est pas chose aisée et j’ai finalement opté pour « La Maison vide ». La polysémie du terme polonais n’y est pas immédiatement sensible, mais on peut la retrouver de façon métaphorique.

Pour comprendre la portée de ce titre, il faut écouter ce qu’explique Malina Przesluga elle-même à ce sujet :

« Au début la pièce s’appelait La maison qui n’a pas existé. Mais le titre Pustostan (La Maison vide) m’a semblé plus pertinent et plus puissant, parce qu’il désigne un espace abandonné, renvoie à un endroit autrefois plein de vie, où quelqu’un était là, et aujourd’hui n’y est plus. J’associe le vide à la nostalgie, à la perte, à la disparition. La métaphore de l’espace m’avait accompagnée depuis le début de l’écriture de la pièce, de même que la question de savoir comment on fonctionne dans un espace. J’ai souvent déménagé, et je sais ce que signifie faire tenir sa vie dans quelques boîtes en carton. Nous accumulons, au fil des années, des objets auxquels nous sommes émotionnellement attachés ou qui nous renvoient à notre passé. Avec tous ces souvenirs, lettres, notes, photographies, livres que nous avons lus, bibelots qui ont pour nous une signification particulière, on peut marquer notre territoire, apprivoiser le vide, celui qui est en nous et celui qui se trouve entre nos quatre murs. Nous installons notre vie dans les objets qui nous entourent et construisons l’identité du lieu, et notre propre identité par la même occasion. Dans La Maison vide, je vois les relations familiales d’une façon similaire. Qu’est-ce qu’il restera dès lors que nous allons les priver de réflexes, de comportements qui nous sont familiers, de platitudes, de calques linguistiques et d’automatismes de nos gestes et réactions, ou en d’autres termes, de tout ce qui fait qu’une personne se sent en sécurité. Allons-nous tomber dans un vide émotionnel ou bien y aura-t-il une autre personne à nos côtés ? Toutes les comparaisons de construction me semblaient très justes pour décrire une situation familiale : des fondations solides, une façade en contreplaqué bon marché, des constructions lourdes et des poutres en train de pourrir. Il m’était du coup plus facile de nommer des états difficilement nommables. »

Chez Przesluga, le personnage est plus important que le déroulement de l’histoire proprement dite. Chaque personnage constitue la colonne vertébrale de la pièce et, se croisant les uns les autres, ils forment le nœud de l’intrigue. La Maison vide, comme toutes les autres pièces de Przesluga, repose sur l’état intérieur des protagonistes. C’est sans doute pour cela que l’histoire elle-même, pour reprendre ses propres mots, est parfois boiteuse, imparfaite, à l’instar de l’être humain. Les histoires de Przesluga paraissent fracturées, infirmes même, comme si elles étaient tombées de haut sans pouvoir se redresser après leur chute. Ce sont les mots qui remettent les personnages debout, à la verticale, et non pas leurs causes ou leurs effets, même s’ils demeurent signifiant et que, passant par mille impasses et détours, ils atteignent finalement leur destination.

Grâce aux personnages de La Maison vide, Przesluga avoue avoir crevé un ballon à l’intérieur d’elle-même : celui de la courtoisie, des bonnes manières, du politiquement correct, des attentes, de la bonne éducation, du savoir-vivre, bref de tout ce qui nous fait dire des contre-vérités pour le soi-disant bien des autres. Le sommet de ce manque de sincérité altruiste n’est-il pas souvent atteint lors des fêtes de Noël ?

Grâce à la puissance de son imagination, ses associations (d’images) et son traitement créatif de la langue, Malina Przesluga continue à me surprendre, séduire, intriguer. Chaque traduction est un défi délicieux, auquel j’entends répondre avec un plaisir incontestable, tout en ayant, à chaque fois, la peur de ne pas être à la hauteur de cette richesse infiniment stimulante. J’aime plonger dans son univers, errer avec ses personnages, incorporer l’histoire qu’elle raconte, pas toujours très drôle mais toujours semée d’humour. La sincérité de son écriture et la bienveillance dont elle fait preuve envers ses personnages me sont très précieuses.