Girafes

de Pau Miró

Traduit du catalan par Clarice Plasteig

Avec le soutien de la MAV

Écriture

  • Pays d'origine : Espagne - Catalogne
  • Titre original : Girafes
  • Date d'écriture : 2009
  • Date de traduction : 2013

La pièce

  • Nombre d'actes et de scènes : 9 tableaux
  • Décors : un appartement modeste à Barcelone, une terrasse d’immeuble, un cabaret. Années 50.
  • Nombre de personnages :
    • 5 au total
    • 4 homme(s)
    • 1 femme(s)
  • Durée approximative : 1h20
  • Création :
    • Période : 2009
    • Lieu : Barcelone
  • Domaine : protégé

Édition

  • Edité par : Espaces 34
  • Prix : 14.60 €
  • ISBN : 978-2-84705-123-0
  • Année de parution : 2014
  • 104 pages

Résumé

Dans la Barcelone des années cinquante, un jeune couple modeste ne parvient pas à avoir d’enfant. Alors que lui travaille dans une menuiserie, elle passe ses journées à la maison entre ses tâches ménagères et son frère qui ne parle plus depuis, qu’enfant, il a vu sa mère mourir dans un bombardement, un vendeur à domicile qui passe tous les jours pour essayer de lui vendre une machine à laver - une Bru parce que c’est la meilleure-, et le sous-locataire avec qui elle écoute la radio l’après-midi.
Quand le mari rentre le soir, tout est prêt, immuable, pour l’accueillir. Dîner et essayer de faire un enfant. Mais les silences qui jonchent leur quotidien laissent apparaître les failles de leurs existences. La femme rêve d’une autre vie sans vouloir se l’avouer. La machine à laver lui offrirait une liberté que le mari refuse. Confiné malgré lui dans les modes de pensée et d’actions imposés par l’époque et par la dictature, il n’a d’autre rêve que celui de fonder une famille unie, nombreuse, laborieuse et sans remous. La femme, elle, peine à étouffer ses aspirations. Et les figures qui traversent leur vie : le frère, le vendeur, le sous-locataire, l’entrainent dans l’évasion. Le frère écrit, dessine et passe ses journées sur la terrasse à scruter le ciel. Le vendeur vient à domicile faire l’article du progrès et de la modernité tout en lui racontant sa propre histoire avec sa femme qui est partie, qui a fui ce pays. Quant au sous-locataire, dont personne ne saurait soupçonner que tous les soirs il est transformiste dans un cabaret, il est pour elle, l’aventure, le voyage, l’autre vie : celle qu’ils s’inventent tous les deux, s’imaginant mener une existence d’artiste à Paris.
Et puis tout s’enchaine : le mari préoccupé par l’enfant qui ne vient pas, par les bizarreries de sa femme et son étrange relation avec le sous-locataire qu’il désapprouve, va se couper les doigts à la menuiserie. Il est maintenant forcé de rester à la maison, son autorité d’époux, de chef de famille est bafouée. Le frère finit par disparaître vers un ailleurs mystérieux et le sous-locataire va gagner à la loterie et offrir la fameuse Bru à la femme.
Pourtant la femme ne parviendra pas à s’émanciper pour de bon. Le mari chassera le sous-locataire et revendra la machine. L’enfant viendra sans doute et la famille sera certainement unie, nombreuse, laborieuse et sans remous.

Regard du traducteur

Girafes est le dernier volet de la « trilogie animale » de Pau Miró. Pourtant l’action est antérieure à celles des deux autres. Elle correspondrait à leur origine. Selon l’auteur si Buffles traite le point de vue des enfants, Lions celui des parents, Girafes traite celui des grands-parents. Il est d’ailleurs parti de l’histoire de ses propres grands-parents. Des trois pièces, elle est donc la plus intime. Pau Miró se sert de cette intimité de ce couple modeste pour nous parler de tout le contexte qui l’accompagne. De tout ce qui fait l’origine à la fois de la trilogie mais aussi de notre époque. Du poids de ces temps difficiles de dictature en Espagne (comme d’après guerre en France) sur notre société actuelle et les rapports entre les gens. L’émancipation, la modernité sont confrontés à la tradition, à l’ordre établi. Et l’on retrouve encore les mêmes éléments que dans Buffles et Lions : la machine à laver, qui fait ici sa première apparition comme métaphore du progrès, de l’avenir, face à l’animalité, au comportement primitif de l’être humain.
La place de la femme préoccupe particulièrement l’auteur dans Girafes. Elle est l’axe centrale, le point fixe autour duquel tout tourne. Mais elle l’est malgré elle, elle l’est parce qu’elle est contrainte de rester à la maison, de préparer le foyer pour la venue de l’enfant qui tarde d’ailleurs à venir. Cette absence laisse le vide nécessaire pour que le rêve s’installe. L’homme suit la norme dictée par la société, il est incapable d’entendre les désirs de sa femme. Et les tensions, les incompréhensions surgissent. Les silences. C’est dans les silences que tout passe, ou ne passe pas. Tout comme les girafes qui n’utilisent pas leurs cordes vocales mais communiquent par infrasons, il y a dans cette pièce ceux qui parviennent à communiquer et ceux qui passent à côté. La métaphore animale est peut-être plus subtile que dans les pièces précédentes, pourtant elle est bien là. L’utilisation d’une autre forme de langage, un langage secret, comme s’il fallait se cacher, occulter ce que l’on est. On comprend alors le personnage du sous-locataire, transformiste dans un cabaret qui vit à moitié caché car la nuit quand il rentre « il y a des bêtes qui le suivent ». Ces personnages, qu’il s’agisse de la femme, du sous-locataire ou du frère, parviennent ainsi à s’échapper de la réalité qui les opprime car ils sont plus sensibles, moins en accord profond avec la société. Les girafes sont différentes ; pour l’auteur elles ont une valeur esthétique indéniable qui les démarque des autres animaux de la savane. Elle sont autres. Pau Miró les fait se déplacer avec grâce sur la scène.