Ferran, professeur des écoles, découvre dans une galerie de Barcelone un autoportrait qui va le fasciner. Très vite, la fascination va tourner à l’obsession, quand il apprend que, très peu de temps après avoir réalisé cette œuvre, le jeune artiste Daniel Gómez Mengual a brutalement perdu la vie dans un accident de voiture.
Cette disparition soudaine, ce portrait qui reste comme la trace d’un absent offrent alors à Ferran la possibilité de s’y voir en reflet. À travers la vie de Daniel qu’il va tenter de reconstituer, il se cherche. À travers la mort de Daniel, son corps déchiqueté dans l’accident, il se découvre lui-même.
Oriol Puig Grau dit de cette pièce qu’elle raconte « L’histoire de quelqu’un qui en jouant à être quelqu’un d’autre va devenir lui-même pour la première fois. ».
Là où d’autres personnages, dans d’autres œuvres, perdent leur personnalité à force d’identification, ici, le jeu du reflet va permettre à Ferran de se révéler à lui-même. La vie rêvée à laquelle était destiné le jeune peintre, et telle qu’elle est fantasmée par Ferran, et l’écart avec sa propre vie, donnent lieu à des questionnements sur l’identité, le désir, les blessures profondes de chacun. L’exploration par Ferran de la vie du peintre, comme objet de son obsession, devient pour l’auteur l’exploration de ce qui fait une personne, de ce qui construit ou modifie son regard sur le monde et sur elle-même.
La pièce est écrite dans une forme monologuée. Il n’y a pas de découpage marqué. La seule didascalie, initiale, nous indique seulement qu’il n’y a qu’un interprète d’une trentaine d’années. C’est lui-même qui prendra en charge les propos des autres personnages, que leurs interventions soient réelles ou fantasmées.
Dès les premières phrases, le lecteur/spectateur est pris dans un souffle : les pensées et gestes de son personnage. Absolument factuels, ils sont comme une machine qui avance sans relâche. Tout ce qui fait sa vie, à partir du moment où il voit l’autoportrait pour la première fois, défile devant nous. Nous sommes au présent de ce qu’il vit et de ce qui le traverse, autant dans ses rituels quotidiens que dans tout ce qui peu à peu va venir interférer dans cette routine.
La force du récit réside aussi dans le contraste entre la subjectivité, puisque nous n’avons jamais accès à autre chose que ce que Ferran choisit de nous dire, comme une sorte de caméra embarquée, et, d’un autre côté, la neutralité avec laquelle il semble se considérer lui-même, et notamment son corps, comme s’il en était spectateur. Nous sommes avec lui à la fois dedans et dehors. Nous glissons avec lui de la réalité au fantasme grâce à la souplesse de l’écriture d’Oriol Puig Grau qui parvient à fondre les instants les uns dans les autres. Tout comme les vies de Ferran et de Daniel se fondent par moment.
La pièce a été écrite en 2024, dans le cadre des Residencias Dramáticas du Centro Dramático Nacional. Oriol Puig Grau a également reçu le soutien de La Chartreuse.
Elle a été créée en octobre 2025 au Centro Dramático Nacional, à Madrid, dans une mise en scène de l’auteur.