Calme renard

de Antonio Villa

Traduit de l'espagnol par Clément Bondu

Avec le soutien de la MAV

Écriture

  • Pays d'origine : Argentine
  • Titre original : Templanza del zorro
  • Date d'écriture : 2014
  • Date de traduction : 2025

La pièce

  • Genre : monologue
  • Décors : Sur le versant d'une montagne, en altitude. Forêt de la cordillère patagonienne, très dense. Il y a un hêtre blanc, tombé depuis peu, branches et racines exposées à l'air.
  • Nombre de personnages :
    • 1 au total
    • 1 homme(s)
    • un renard
  • Durée approximative : 30 mn
  • Domaine : protégé

Édition

Cette traduction n'est pas éditée mais vous pouvez la commander à la MAV

Résumé

La pièce se déroule dans la forêt, au cœur de la cordillère patagonienne. C'est un face à face entre un homme appelé « Chasseur » et un animal appelé « Renard gris ». L'homme parle à l'animal et l'animal lui répond par des réactions, des gestes, des cris, des pleurs.

Au début du texte, le chasseur est assis sur le tronc d'un hêtre déraciné et le renard est au sol, blessé, en sang. La situation semble claire : un duel s'est joué entre eux et l'homme en est sorti vainqueur d'un coup de fusil. À travers un monologue vivant, le chasseur confie au Renard gris les pensées qui le traversent, puis se met peu à peu à raconter des pans de sa vie passée, tournant de plus en plus autour de sa relation à son fils, « Alan », et de ses rapports avec la mère de l'enfant, appelée « la Flaca » (un diminutif affectif fréquemment utilisé en Argentine pour qualifier quelqu'un – « flaco, flaca » voulant littéralement dire « maigre, mince »). L'homme a un fusil de chasse mais aussi une guitare, dont il se sert par moments pour chanter des chansons. La progression dramatique est très ténue. On peut néanmoins percevoir une tension grandissante à travers les variations de langage et les allers-retours du Chasseur, se rapprochant et s'éloignant de l'animal mourant.

Après avoir aiguisé ses couteaux, le Chasseur raconte le jour de la naissance de son fils à la maternité, et ce qui lui a traversé l'esprit, une sorte d'expérience mystique l'ayant amené à l'abandonner. Puis le Chasseur s'approche du renard et se met à lui faire mal avec son couteau. Le renard réagit avec le peu de forces qu'il lui reste. Des cris d'autres renards se font entendre autour, comme une plainte ou une menace. Le Chasseur va dessiner un soleil dans l'écorce du hêtre. Ses propos évoquent de plus en plus la tension, la tragédie, le chaos. Il se met alors à chanter une chanson que lui chantait son ancêtre, puis conseille au renard de se méfier de la forêt, « toujours trompeuse », avant de lui asséner le coup de grâce. 

Le Chasseur hurle en étouffant son cri dans la peau de l'animal mort. Puis il pleure et se couche par terre, taché de sang, se relève, suspend l'animal à l'aide de sa ceinture et entreprend de le vider de ses entrailles, avant de se vêtir de sa peau dans un rituel violent d'expiation et de renaissance.

Regard du traducteur

J'ai découvert le travail d'Antonio Villa en octobre 2023 à Buenos Aires, grâce au programme « Levée d'encres » de l'ATLAS-CITL m'ayant permis de séjourner deux mois en Argentine dans la perspective de « découvrir de nouvelles voix à traduire ». Parmi mes pistes de recherche, j'avais privilégié l'écriture contemporaine, et les genres les plus difficiles à porter comme traducteur : le théâtre et la poésie. Le travail d'Antonio Villa m'a paru à cet égard particulièrement intéressant. À mi-chemin des arts visuels, de la performance, de la poésie et du théâtre, Antonio est un auteur aguerri aux questionnements dramaturgiques contemporains, il dirige la collection Gallinero chez Rara Avis, qui a publié une dizaine de jeunes auteurs et autrices argentins, comme Ariel Farace ou Giuliana Kiersz. Parmi les œuvres réunies d'Antonio Villa, à paraître en un volume en 2025 aux éditions Rara Avis, j'ai décidé de traduire deux monologues, Calme renard (Templanza del zorro, 2014) et En paix (Paz, 2021), deux beaux textes, courts et singuliers, suffisamment universels pour être susceptibles de créer un désir de lecture et de mise en scène en France. Calme renard est le monologue d'un homme dans une forêt, s'adressant à un renard sur lequel il vient de tirer et qui est en train de mourir. En paix est le monologue d'une journaliste dans une ville en guerre détruite par les bombes, s'adressant à la femme qu'elle aime et qui ne répond plus à ses messages. Ces deux textes se répondent, réunis par les questions de la violence, du deuil, de l'impuissance, et de la difficulté fondamentale à penser l'autre (qu'il soit animal ou humain), à le prendre en empathie ou simplement en considération, à travers les désordres multiples du monde contemporain. À mon sens, ils pourraient tout autant donner lieu à des mises en scène séparées qu'à un seul spectacle (et un seul livre).

Calme renard se déroule dans la forêt, au cœur de la cordillère patagonienne. Dès le départ, le texte met en scène notre rapport aux êtres vivants à travers ce trio : humain, animal, arbre. Le hêtre blanc (appelé aussi « hêtre de la Terre de feu ») trône ainsi sur la scène comme un dieu mort, plus grand que les deux autres personnages. Ses racines arrachées évoquent en quelque sorte le deuil de la nature. Les réactions du Renard (gestes, cris, pleurs, déplacements) qui ponctuent le texte créent une forme de dialogue infra-linguistique, où le corps parle presque autant que la voix. 

Glissant habilement entre des registres variés, le « Chasseur » alterne banalités, élans poétiques, considérations métaphysiques, fragments de chansons du répertoire folklorique sud-américain (Simón Díaz) ou du répertoire rock mondial (Rolling Stones), confessions et souvenirs, créant une partition dont la finalité reste trouble tout le long du texte. Le fait est que, dès le début, nous comprenons que le chasseur n'en est pas vraiment un, puisqu'il dit lui-même n'avoir jamais chassé auparavant. « Chasseur » le caractérise donc seulement par l'action qu'il vient de commettre pour la première fois. On devient chasseur en chassant. Sans que cela devienne pour autant quelque chose qui reste « collé à la peau » pour toujours ? C'est ce que le texte semble suggérer : on peut être chasseur un jour et chassé le lendemain, passer d'homme à renard, d'une façon plus complexe que nos sociétés occidentales semblent penser les identités figées.

De fait, l'homme possède un fusil mais aussi une guitare, deux instruments symbolisant notre rapport possible à l'autre, à la douleur ou à la violence. Tout le long du texte, il est question de rythme et de musique. Le chant semble une manière fragile de transcender notre pulsion de violence et de mort, mais ce processus cathartique se révèle le plus souvent impuissant. À regarder les choses en face, la violence humaine est partout (dans En paix, ce constat est d'autant plus fort). L'art ne suffit absolument pas. Mais il crée malgré tout une ligne de faille, d'interstice, à l'intérieur de cette violence, où la singularité est possible, où un geste peut être fait en direction de l'autre. De façon plus large, la question du passage, de la transmission, est l'une des questions fondamentales qui traversent le texte. Qu'est-ce qui passe entre les êtres ? Entre enfants et adultes, professeurs et élèves, animaux et humains, morts et vivants ? « Comment un fils mort peut nous apprendre à être père ? » demande le Chasseur. Si l'on comprend peu à peu que la parole du « Chasseur » et la raison de sa présence au milieu de la forêt ont principalement trait à ce deuil (celui de son fils Alan), le processus de guérison n'est pas clair pour autant. La pièce se développe de pensée en pensée, par bifurcations, auprès d'un animal mourant. Son dénouement est de fait très saisissant : l'homme achève le renard d'un coup de couteau puis le vide de ses entrailles et se recouvre du corps de l'animal comme d'une seconde peau, un second être, un totem venant l'habiter de l'intérieur, atteignant ainsi, à travers un processus de violence rituelle (qui me fait penser aux Maîtres fous de Jean Rouch), une symbiose, inquiétante et belle, avec les êtres du monde.