Un an après

de Tony Laudadio

Traduit de l'italien par Emanuela Pace

Avec le soutien de la MAV

Écriture

  • Pays d'origine : Italie
  • Titre original : Un anno dopo
  • Date d'écriture : 2013
  • Date de traduction : 2021

La pièce

  • Genre : comédie
  • Nombre d'actes et de scènes : Acte unique – 30 instantanés ou « micro-scènes » de la vie de deux employés de bureau pendant trente ans.
  • Décors : Le lieu de travail de deux employés : deux bureaux face à face ; deux ordinateurs
  • Nombre de personnages :
    • 2 au total
    • 2 homme(s)
  • Durée approximative : 75 mn
  • Création :
    • Période : 2013
    • Lieu : Milan
  • Domaine : protégé

Édition

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Résumé

La pièce pourrait s’intituler « Vie et mort de deux employés en soixante-quinze minutes et trente tableaux », comédie à l’italienne.

Un espace unique, l’espace de travail des deux protagonistes. Un bureau, quelconque, presque abstrait, sans doute étouffant (au détour d’une des micro-séquences, l’on apprendra qu’il est littéralement clos, sans fenêtre, ce signe de l’ouverture sur l’extérieur, le dehors, l’« ailleurs » de la scène et de la vie…). La pièce est constituée d’une série de scènes brèves juxtaposées, qui forment autant d’instantanés de vie des deux personnages. L’un (Goffredo) est bien plus prolixe que l’autre (Giacomo) et désireux d’échanger dès le début de la pièce, qui marque aussi son arrivée dans ce nouvel environnement professionnel.

La vie défile à l’aune d’une journée (peut-être toujours le jour anniversaire de l’arrivée de Goffredo ?), pendant trente ans - ou trente scènes. Et c’est sur un mode éminemment comique, par la drôlerie et parfois l’outrance de ces fragments qui empruntent aux figures et à la structure des Monstres et Nouveaux Monstres du cinéma de Risi, Monicelli et Scola, que l’on « participe » à leurs échanges et leur chemin de vie. La fin pourtant nous cueille, et l’on se surprend à s’être attaché à ces petits personnages...

Ce sont probablement de petits employés d’une entreprise informatique d’une petite ville de province. Leur activité semble répétitive, quasi mécanique (l’enregistrement de données sur un ordinateur). Le vide et l’absurdité que provoque cette activité suscite chez Goffredo le désir réitéré d’un ailleurs, chez Giacomo une forme d’indifférence, de « fatalisme », d’acceptation de cette monotonie. Où l’on apprendra, d’un tableau à l’autre, d’une année à l’autre, le projet de déménagement de Goffredo sans cesse repoussé, des bribes de sa vie hors du travail, sa quête amoureuse et sexuelle allant jusqu’à l’accusation et sa condamnation pour pédophilie, sa prise de conscience, ses prises de risques « sportives » suivies d’échecs, son mariage sans enthousiasme avec une femme, la naissance d’une fille, la séparation, sa maladie, sa reprise de vie commune avec cette ex-femme, toujours sans enthousiasme, et enfin, sa mort probable (dans le trentième et dernier tableau il n’est plus là). Giacomo, plutôt laconique – avare de mots et d’émotions - reçoit cette vie narrée, réagit, satirique, caustique ; scandalisé, mais entraîné malgré lui dans les frasques de son « collègue ». Poussé par Goffredo, des bribes de sa vie apparaissent néanmoins : il vit avec sa sœur ; son curieux passe-temps consiste à écrire ce qu’il nomme des « pitchs », récits dont la brièveté étonne… Ils ne partageront jamais aucune intimité autre que celle du bureau. Et le « tourbillon de la vie » - toujours hors-scène - qui les emporte est fait de répétitions, monotonie, frustrations, lâchetés, monstruosités… Le rythme est celui de la comédie ; le ton dans les échanges est celui de l’ironie et de la satire de cette vie moyenne de personnages « sans qualités » qui, sous certains aspects, nous ressemblent terriblement… On rit mais on est aussi touché par cette humanité sans envergure, par ces « nouveaux monstres » d’une vie sans but et sans grands projets.

Regard du traducteur

La situation de départ d’Un An après est tout à fait réaliste, tout comme la langue employée par l’auteur est simple, presque quotidienne (italien moyen sans difficultés ni recherche particulières). De fait, la singularité de ce huis clos tient en premier lieu à son montage en scènes juxtaposées faisant coexister une temporalité longue et la brièveté des séquences qui la composent. Une séquence, une année (ou plutôt un jour d’une année). Par ailleurs, le lieu unique, l’aspect répétitif de la situation initiale, l’absence d’un ailleurs, la narration de « péripéties » extérieures à l’espace mettent en place un dispositif singulier. Celui-ci, d’une part « dénonce » sa théâtralité (nous en reparlerons) ; d’autre part, participe de la thématique de la pièce à travers la répétition absurde et la monotonie, voire l’enfermement dans une vie sans but, comme dans une pièce sans fenêtre (ou vice-versa). C’est ainsi que Tony Laudadio inscrit sa pièce dans une veine comique contemporaine et spécifiquement italienne, tout en proposant un regard critique sur la société dans laquelle nous évoluons. Au regard du peu d’intérêt de l’activité professionnelle des personnages, il est tout à fait possible de penser aux bullshit jobs d’aujourd’hui. De même que, pour ce qui est de l’aspect le plus scabreux de la pièce, la pédophilie de Goffredo fait partie de ces situations pathogènes que l’on n’a pas fini de dénoncer et de tenter d’enrayer. Enfin, la question existentielle de la recherche d’un sens, d’un « surplus » à la vie humaine est elle aussi toujours aussi valide, à l’heure où la place du travail, les pandémies et autres questions cruciales sur notre devenir sont aussi prégnantes…

Mais, le fait de « dénoncer » la théâtralité de la situation est ce qui fait d’Un An après une « pièce à jouer ». Ainsi lorsque Giacomo dit : « Moi, je suis toujours le même. Parfois, j’ai la sensation que les dix dernières années sont passées en une demi-heure. », c’est bien sûr à la fois le personnage et l’acteur qui s’expriment !

La structure même de la pièce repose sur l’habileté de ses acteurs, capables de construire des personnages par petites touches successives correspondant aux différentes séquences. Les dialogues sont simples, mais les répliques et les échanges sont d’une grande efficacité, tout comme la ligne narrative reste tendue et l’attention du spectateur sans cesse soutenue. Il s’agit également de pouvoir inscrire le temps qui passe sur le corps par des signes qui ne soient pas trop marqués, d’autant que la coupe est « sèche » d’une scène à l’autre. La pièce est sans aucun doute caractérisée par sa vélocité, que l’on retrouve notamment dans le cinéma italien, en particulier dans les films à sketches : faire naître en un temps très bref une situation et des personnages marquants et, d’une certaine façon, définitifs ! Ces personnages sans qualité particulière, parfois assez minables, voire franchement médiocres (veule, libidineux, amoral), sont une « matière à jouer » formidable. Ils s’inscrivent dans la ligne des Monstres en ce qu’ils sont à la fois pathétiques, méprisables et touchants.

Il nous semble que la pièce de Tony Laudadio propose un dispositif original très intéressant à interroger d’un point de vue scénographique et dramaturgique ; et une belle opportunité pour les acteurs de découvrir une comédie italienne contemporaine, de manière « organique », puisqu’elle est le fruit d’un auteur qui est aussi un immense acteur originaire de la région de Naples. Et à l’instar de la grande tradition théâtrale des auteurs-acteurs-metteurs en scène de cette région de l’Italie (Eduardo De Filippo, pour ne citer que lui), il écrit avec l’intuition et la connaissance de celui qui joue.