Trop jeune pour des fantômes

de Janis Balodis

Traduit de l'anglais par Séverine Magois

Avec le soutien de la MAV

Écriture

  • Pays d'origine : Australie
  • Titre original : Too young for ghosts
  • Date de traduction : 1993

La pièce

  • Genre : Pièce "semi-épique" aux résonnances mythiques et oniriques.
  • Nombre d'actes et de scènes : 2 Actes, 15 scènes ( 9 + 6)
  • Nombre de personnages : 16 (6 rôles masculins et 3 rôles feminins sont dédoublés) dont 12 homme(s) et 4 femme(s)
  • Durée approximative : 1 heure 3/4 - 2 heures
  • Création :
    • Période : 1985
    • Lieu : Sidney théâtre Company, Sidney

Édition

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Résumé

L'écriture théâtrale de Balodis est spécifique en ce qu'elle pratique des changements, des décalages dans le lieu, dans le temps et chez les personnages. L'intrigue oscille ainsi entre deux pôles spatio-temporels :
1- 1845 - Australie : L'explorateur Leichhardt tente pour la deuxième fois de traverser la région du Queensland du Nord. Durant cette expédition, il se trouvera confronté aux Aborigènes.
2- a) 1947 - Camp de réfugiés à Stuttgart
b) 1948-49 - Les réfugiés Lettons détenus en Allemagne ont émigré vers l'Australie. Ils sont devenus travailleurs agricoles dans une plantation de canne à sucre, dans le Queensland du Nord.
Ces deux "thèmes" se font écho. Un tel redoublement permet de mettre en avant la relativité de l'individu et de l'Histoire, d'autant que les "Fantômes" du passé et du présent se rencontrent dans ces terres inexplorées (territoire de la migration et du déplacement).

Regard du traducteur

Dans l'immédiat après-guerre, 5 réfugiés Lettons sont enfermés dans un camp de réfugiés en Allemagne. Ils rêvent de construire une vie nouvelle dans un pays jeune. Mais les obstacles et les complications surgissent : un mari revient d'entre les morts, un petit escroc qui trafique au marché noir est rel‚ché des geôles américaines, et deux femmes se prostituent. Par ailleurs, suspectée, à tort, de fascisme et de collaboration avec les Nazis, la population Lettonne voit s'envoler tout espoir d'émigration vers les USA, "Terre de Fortune". Après le meurtre d'un GI, les Lettons sont contraints d'émigrer. L'Australie est alors leur terre d'accueil. Dans leur esprit c'est une nouvelle version de la Frontière, un pays de gens honnêtes et ouverts, un pays de toutes les promesses et de toutes les possibilités pour ceux qui sont prêts à travailler dur. Ils déchanteront vite : un Contremaître xénophobe et borné les accueille sans ménagement. De surcroît, ils sont immédiatement confrontés à un paysage implacable et hostile. Dans cette région tropicale de l'Australie, égarés, privés de tout repère, tant physique que culturel et spirituellement dévastés, les Lettons sont en quête d'une identité stable, dans un environnement et des circonstances aliénants et précaires. Pour survivre, ils dissimulent les fantômes de leur passé qui continuent à les hanter. Le déluge symbolique (fin de l'acte II) est ainsi une métaphore de purification : une renaissance. Ainsi lavés de leurs fantômes, de leurs émotions refoulées, de leurs craintes et de leurs désirs inaccessibles, les Lettons se trouvent enfin face à la rupture sans laquelle une nouvelle vie serait irréalisable.
A ce double espace (camp de réfugiés - baraquements des coupeurs de canne) vient se superposer un troisième lieu : le campement que des explorateurs ont établi à la périphérie du Bush de l'Australie tropicale, en 1845.
Deux explorateurs sont obsédés par le désir de devenir des héros, chacun dans son domaine : le premier comme colonisateur, le second comme naturaliste.
Leur ignorance totale de la culture aborigène, la férocité des éléments naturels, la sécheresse, la crue, l'épuisement des provisions puis le manque total de nourriture, les désaccords et les inimitiés personnelles, tout concourt à les précipiter vers une fin inéluctable.
Alors que leur campement subit l'assaut d'un groupe d'Aborigènes, un des explorateurs tuera l'autre. Mais il ne survit que pour mourir de soif au cours de sa prochaine expédition. Les deux hommes - ou plus exactement leurs fantômes - réapparaissent dans les dernières scènes de la pièce.
Ce système de superposition "exige" du public qu'il fasse ses propres associations, qu'il opère lui-même des rapprochements entre le temps, l'espace, l'action et les métaphores récurrentes de la pièce. En même temps, il expose le leitmotiv de la pièce : l'affirmation de soi quand tout se désintègre.
La pièce met en scène une interrogation sur la destinée humaine et sur les différents modes du regard et de la vision : ce que les gens veulent voir, ce qu'ils voient réellement et ce qu'ils choisissent de ne pas voir pour pouvoir survivre.

Comment trouver l'équilibre fragile entre la dépossession et l'identité, l'aliénation et l'assimilation, la conquête et la soumission, l'intensité de l'absence et la fugacité de la présence, telle est la problématique au coeur de Trop Jeune pour des Fantômes.
Trop Jeune pour des Fantômes est un titre ironique. Il fait allusion au fait que pour de nombreux explorateurs immigrés, l'Australie était la terre de tous les possibles, une terre sans Histoire, et donc Trop Jeune pour des Fantômes. Titre ironique, car pendant des milliers d'années avant l'arrivée des Européens, les Aborigènes ont habité ce pays en toute liberté. La spiritualité et la culture Aborigènes sont inspirées par le "Dream Time". Ce "Temps du rêve", que les Aborigènes respectent encore aujourd'hui, imprègne leur vie, au quotidien. Il est peuplé de créatures hybrides et de fantômes. La première fois que les Aborigènes ont vu des Européens - des hommes blancs - ils ont cru avoir devant eux les fantômes de leurs propres ancêtres.