Nuit blanche

de Tatjana Motta

Traduit de l'italien par Federica Martucci

Avec le soutien de la MAV

Écriture

  • Pays d'origine : Italie
  • Titre original : Notte bianca
  • Date d'écriture : 2019
  • Date de traduction : 2022

La pièce

  • Genre : comédie dramatique
  • Nombre d'actes et de scènes : 14
  • Décors : non précisé
  • Nombre de personnages :
    • 6 au total
    • 3 homme(s)
    • 3 femme(s)
    • Hôte et Un Autre, Jeune fille et Mère peuvent être joués respectivement par le même comédien et la même comédienne
  • Durée approximative : 100 mn
  • Création :
    • Période : septembre 2021
    • Lieu : Festival RomaEuropa, Italie
  • Domaine : protégé

Édition

Cette traduction n'est pas éditée mais vous pouvez la commander à la MAV

Résumé

Un couple, l’Homme et la Femme, dont on ne connaîtra jamais les prénoms, arrive pour quelques jours de vacances dans une ville balnéaire. La localité n’est pas précisée mais on comprend que ses habitants s’apprêtent à vivre deux jours de fête populaire dès le soir même et, de ce fait, il n’a pas été facile pour les deux touristes de trouver un hébergement. La pièce s’ouvre lorsqu’à peine descendus du bus, ces derniers retrouvent l’Hôte, un homme qui leur a loué via un site internet un petit appartement où séjourner. L’Hôte n’est pas originaire de cette ville, il s’y est installé après un long et périlleux voyage, lui aussi est étranger… chez lui. Il accueille les deux touristes avec beaucoup d’amabilité et de courtoisie mais les informe que malheureusement un dégât survenu dans son logement empêche que le couple ne s’y installe. Toutefois, l’Hôte a déjà prévu pour eux une solution de rechange : le studio de son frère, situé dans un autre quartier, est libre et les attend. Les trois se mettent en route vers cette destination. Commence alors un nouveau « voyage », une pérégrination à travers une ville à la fois chaleureuse et menaçante. Excitation de la nouveauté et peur de l’inconnu animent les deux touristes. Tour à tour, ils se perdent dans les ruelles, y rencontrent d’autres personnes, des inconnus - accueillants ou malveillants – d’autres voyageurs de l’extrême qui s’ouvrent à eux ou les écoutent, puis l’Homme et la Femme finissent par se retrouver au terme de leur nuit blanche, cette nuit de fête dont ils n’auront au final entendu de loin que les pétards et la musique. À la faveur des diverses rencontres avec l’Inconnu et des inconnus, l’expérience touristique du couple s’est transformée en parcours initiatique.

Regard du traducteur

Lire notre entretien avec Federica Martucci à propos de Nuit blanche et de Tatjana Motta.

Le thème du voyage a été, ces dernières années, très exploré par les auteurs européens - et notamment italiens – car notre continent a été un grand témoin de l’accroissement des flux migratoires et des drames humanitaires qui les ont trop souvent accompagnés. La pièce de Tatjana Motta aborde la question du voyage et de l’identité mais par une approche qui surprend. La pièce croise et entremêle tourisme de masse et flux migratoires pour révéler les réalités et motivations contrastées qui se cachent derrière chaque voyageur. Ici nous en suivons deux, un couple de touristes petits-bourgeois adeptes et consommateurs d’un tourisme rapide et rendu facile grâce à internet, au low-cost, à AirBnB... qui rencontrent d’autres voyageurs… de la migration.

Nuit blanche s’ouvre sur une promesse de bienvenue - l’Hôte qui accueille le couple de touristes est plus que courtois - que l’on ressent aussi comme une menace qui devient d’emblée prometteuse pour le lecteur/spectateur qui est happé tout au long de cette nuit blanche émaillée de rencontres avec des inconnus dont celle avec l’Hôte ne fait qu’ouvrir le bal. L’errance touristique du couple les conduit vers une périphérie peuplée d’Autres, d’inconnus, d’étrangers, de personnes qui ont entrepris eux aussi un voyage... bien différent. La pièce montre ici l’autre visage du « voyageur » et donc la face cachée de cette ville balnéaire. Les mêmes villes vendues aux touristes et convoitées par les touristes comme des objets de désir sont pour d’autres des lieux où lutter pour la survie. Tourisme de masse et flux migratoires viennent ici se heurter, se rencontrer, s’écouter à la marge de la petite ville balnéaire. Au fil de la pièce, le voyage du couple prend peu à peu une autre tournure. Les embûches et rencontres nocturnes en terre inconnue mettent le couple à rude épreuve, le voyage devient le purgatoire de leur relation, il se transforme au gré des rencontres en voyage initiatique : un véritable parcours à la rencontre de soi, un rite de passage pour découvrir, se découvrir.

Le travail sur les personnages est particulièrement fin. Nous ne savons presque rien au départ sur le couple et les autres personnages qui sont comme des fonctions dramaturgiques mettant en action une machine à raconter : les touristes, l’hôte… des sujets qui ont des fonctions reconnaissables pour le lecteur. Puis, au fil de la pièce, c’est-à-dire au fur et à mesure de la traversée de la ville, ces rôles cèdent peu à peu, ils se dilatent, laissant voir autre chose : les figures s’ouvrent et révèlent soudain certaines facettes, des bribes de leur histoire… s’agit-il de la réalité, de mensonges, de propos pour produire un effet sur l’autre en face, pour le séduire, le manipuler ? Le recours au procédé de la photo que certains personnages montrent à d’autres est aussi un ressort pertinent pour questionner l’identité de chacun forcément impactée par le voyage : ainsi l’Hôte s’interroge en montrant une photo de lui prise avant son départ « Cet homme c’est moi ? ».

Le voyage est une expérience à la fois attirante, excitante et inquiétante, menaçante. L’écriture de Tatjana Motta parvient à rendre cette dualité en campant un climat singulier : sur fond de festivité, elle transmet au lecteur la sensation de divers types d’inquiétudes possibles (selon les personnages et l’espace traversé par eux) : ainsi de manière surprenante, la fête populaire qui se prépare en ville est présentée en des termes terrifiants qui évoquent la destruction, la violence, la guerre… Ce climat instauré d’emblée donne la direction de l’histoire et alimente la tension dramaturgique. Cette attraction-répulsion liée à l’expérience du voyage est éprouvée par les deux protagonistes à tour de rôle : l’Homme veut s’abandonner à l’expérience nouvelle (à savoir : suivre l’Hôte dans des ruelles inconnues) puis il a peur ; la femme est d’abord réticente puis elle veut rentrer dans l’expérience pour voir jusqu’où cela peut aller. Cette atmosphère est également soutenue par un style non naturaliste, des dialogues qui ne creusent pas un sillon psychologique. L’auteure a particulièrement travaillé la langue des personnages pour révéler le rythme interne propre à chacun, son flux de pensée (un torrent en furie pour la Jeune Fille qui rêve de quitter la ville, de fuguer ; une respiration suspendue pour la Mère en attente de nouvelles de son fils parti, qui sait où ; un mouvement modéré pour l’Hôte qui se veut prévenant bien qu’il ne puisse plus assurer comme convenu l’hébergement du couple chez lui).

Le dispositif d’ensemble posé par l’écriture laisse place à une belle liberté dans la mise en scène : le choix du nombre d’acteur.rice.s en scène, la création des espaces, des divers lieux, des atmosphères et également des partitions riches à travailler pour des comédien.ne.s. (la quasi absence de ponctuation y participer également). Le fait que l’histoire ne soit pas localisée, située, ne l’enferme pas dans une réalité ou un imaginaire spécifiquement italien, ce qui laisse la mise en scène libre de l’ancrer ou de la placer hors temps-hors espace.