Marbourg

de Guillem Clua

Traduit du catalan par Aymeric Rollet

Avec le soutien de la MAV

Écriture

  • Pays d'origine : Espagne - Catalogne
  • Titre original : Marburg
  • Date d'écriture : 2010
  • Date de traduction : 2016

La pièce

  • Genre : drame
  • Nombre d'actes et de scènes : 2 actes
  • Décors : L’action se déroule à quatre endroits du monde, tous appelés Marbourg, à quatre moments différents de l’histoire récente.
  • Nombre de personnages :
    • 9 au total
    • 5 homme(s)
    • 4 femme(s)
  • Création :
    • Période : 19 mai 2010
    • Lieu : Théâtre National de Catalogne (Barcelone)
  • Domaine : protégé

Édition

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Résumé

La pièce raconte quatre histoires qui se déroulent en quatre endroits du monde, tous nommés Marbourg.

Guillem Clua part d’un fait historique réel : en Allemagne, alors qu’ils prélevaient des cellules sur des singes pour produire des vaccins, plusieurs chercheurs ont attrapé un virus, semblable à Ébola, le virus dit « de Marbourg » ; sept d’entre eux en sont morts.

L’annonce de la maladie survient, dans la fiction, sur fond de relations conflictuelles entre Tom et Helga, un couple de scientifiques installés à Marbourg, en Allemagne : Tom, qui a été infecté, pourra-t-il être sauvé ? En Pennsylvanie, un drame familial se joue : Nancy vient de perdre son fils et l’annonce à sa sœur, Claire, mais Claire n’est pas convaincue par le récit de Nancy et cherche à découvrir la vérité sur la disparition de son neveu. Le père Gabriel est envoyé en Afrique du Sud par le Vatican pour examiner une statue du Christ pleurant des larmes de sang : Acanit, une religieuse protestante, ne serait-elle pas à l’origine du supposé miracle ? Enfin, en Australie, Buck, un jeune homme rencontré sur Internet, demande à Dundy, qui est séropositif, de le contaminer.

L’un des fils conducteurs de la pièce, c’est la maladie et la peur de la « fin du monde », mais les liens qui se nouent peu à peu entre les quatre histoires, en apparence distinctes, réservent bien des surprises…

Regard du traducteur

Guillem Clua compose ici un texte ambitieux qui embrasse de nombreux sujets et qui se fonde sur un cadre géographique particulièrement vaste. L’écriture naît d’une certaine conscience du monde et de l’histoire, que le dramaturge lui-même présentait ainsi en 2010 :

Un éternuement dans le métro en 2008 ne signifiait pas la même chose un an après, en pleine psychose de la Grippe A. Un préservatif constituait la barrière qui séparait la vie et la mort dans les années 1980, tandis qu’aujourd’hui, trois décennies plus tard, de nombreux jeunes y voient une gêne plutôt qu’une protection. Et pendant que nous apprenons à contrôler les effets dévastateurs des tumeurs, une nouvelle pandémie touche l’Occident : Alzheimer, une maladie anecdotique auparavant, puisque rares étaient ceux qui vivaient assez vieux pour en souffrir. Marbourg est précisément une réflexion sur cela : comment les maladies ont défini une certaine époque dans notre imaginaire collectif ; comment elles ont changé notre manière de voir la vie, notre environnement, et le futur ; comment nous réagissons quand nous nous sentons menacés, quand notre mode de vie s’effondre à cause d’un élément extérieur (parfois aussi microscopique qu’un virus) ou quand nous sommes sur le point de disparaître en tant que société. Marbourg parle, en définitive, de la peur de mourir, et de la manière dont cette peur a pris différents visages, différents noms, au cours des années. (Propos traduits du catalan ; voir Clua, Guillem, « Un món malalt », Marburg, Barcelone, Proa, 2010, p. 8.)

Le dialogue qui s’instaure entre les différentes catastrophes évoquées et/ou représentées tout au long de la pièce se fonde sur l’utilisation à la fois dynamique et éminemment signifiante de l’espace scénique ; la scène se divise en effet en quatre espaces qui correspondent à chacune des quatre histoires ou à chacun des quatre univers fictionnels. Les espaces et les temps, c’est-à-dire les quatre univers fictionnels, apparemment isolés au début, dialoguent à travers leur coprésence et à travers l’utilisation de la lumière. Autrement dit, l’espace scénique ainsi configuré est travaillé de deux manières ou selon deux axes différents. On observe, d’une part, un dialogue de surface (entre les lieux et les époques) qui repose sur les parallélismes, les échos, les similitudes et les répétitions ; par exemple, la réitération d’une même portion de dialogue par plusieurs personnages différents peut constituer le point d’articulation entre deux séquences et deux univers fictionnels. À certains moments, Clua élabore des dialogues croisés qui provoquent un jeu de reflets entre les différentes situations fictionnelles, tout en soulignant leurs correspondances troublantes, et souvent inquiétantes. D’autre part, la composition même du texte théâtral permet à un autre type de dialogue de se développer tout au long de la pièce, un dialogue qui se produit pour ainsi dire au niveau macrostructural : les espaces communiquent entre eux, rompant ainsi avec le sentiment initial de compartimentation de l’espace scénique, et cela contribue à la construction de l’histoire ; par exemple, le père Gabriel commence à raconter à Acanit un événement marquant de son passé, sa rencontre avec un scientifique infecté par le virus de Marbourg, puis l’action prend le relai du dialogue : par un procédé de flashback scénique, Gabriel change d’espace, il est désormais en Allemagne et l’on assiste à son échange, trente-deux ans plus tôt, avec Tom.

L’écriture dramatique, dans Marbourg, se fonde sur la visibilité assez manifeste d’une partie des fils conducteurs, que ces derniers soient liés à l’argument (le lecteur/spectateur parvient à reconstruire petit à petit une certaine continuité entre les quatre univers fictionnels qui composent la pièce) ou qu’il s’agisse de fils conducteurs thématiques, métaphoriques ou symboliques. La maladie, au sens littéral – le virus de 1967, la séropositivité, Alzheimer – ou au sens figuré – l’intolérance en vertu de supposées valeurs morales, familiales ou religieuses, le mensonge –, occupe une place centrale dans Marbourg. À mesure que l’action dramatique progresse, le motif de la maladie se tisse peu à peu et se fait à la fois emblème du texte théâtral et discours sur le monde contemporain, au moins depuis les années 1960. Guillem Clua se livre à une sorte de jeu de dérivations autour des maladies modernes en Occident, un jeu qu’il articule autour de toute une série d’oppositions – protection/contamination, défenses immunitaires/fragilité de l’organisme, vaccin/incurabilité, désir de guérison/pulsion de mort, etc. – qui trouvent leur origine dans une même sensation de peur engendrée par des causes diverses, mais d’égale intensité. Le véritable objet de cette « peur » reste, en fin de compte, assez opaque et mystérieux ; en effet, sous les déclarations des personnages, qui prétendent désigner de manière plus ou moins explicite, et parfois nommer, ce qui les effraie, on peut vraisemblablement déceler une sorte de sentiment – selon les cas, inquiet, angoissé, épouvanté, désolé – du monde et de la condition humaine. C’est ainsi que l’on pourrait interpréter la référence récurrente, dans le dialogue, à la « fin du monde », une expression peut-être trop usuelle (on dirait presque une expression lexicalisée) et trop générale pour ne pas s’accompagner aussi d’une signification, plus spécifique et plus personnelle, liée à la situation concrète de chacun des personnages.

Marbourg pourrait être lue comme une pièce de la catastrophe, au moins en partie aporétique ; en effet, le débat qui se noue autour de l’idée de catastrophe – comme élément déclencheur de la « fin du monde » ou comme source d’un nouveau commencement – semble assez équivoque et ambivalent. Les épidémies et les contaminations sont-elles réellement inéluctables ? La situation la plus problématique et, même, la plus dérangeante, la plus encline à susciter la controverse, c’est la relation entre les deux hommes en Australie en 2012 : le jeune Buck sait que Dundy est séropositif et lui demande de le contaminer ; au terme d’un raisonnement maladif, il considère qu’une fois contaminé, il sera libéré de sa peur. À la fin de la pièce, que l’on peut interpréter d’une certaine manière comme le triomphe de la maladie, des épidémies et de la contagion, il est fort probable que Dundy finisse par exhausser le vœu de Buck. Mais en même temps, peut-être faut-il s’attarder ici sur une caractéristique structurelle non négligeable : l’action ne s’achève pas, comme on pourrait s’y attendre, dans l’époque la plus récente du point de vue du lecteur/spectateur, c’est-à-dire la plus proche du moment de l’écriture (Australie, 2010) ; elle trouve au contraire son unité et son point de convergence dans les douze coups de minuit qui inaugurent l’an 2000 (Afrique du Sud, 1999) et qui cristallisent, par ce moyen dramaturgique (sonore), la plupart des grands thèmes et des grandes questions qui ont traversé la pièce. Au-delà de l’effet dramatique indiscutable, très poignant, que produisent conjointement le cadre temporel de fin de millénaire et le climat sonore, avec les douze coups de minuit, on devrait peut-être se demander pourquoi Clua choisit de situer le dénouement de Marbourg dans l’univers fictionnel qui, d’un point de vue chronologique, correspond à l’avant-dernière période historique évoquée et représentée. C’est en effet dans la nuit du 31 décembre 1999 au 1er janvier 2000 que s’achève, virtuellement et symboliquement, une action dramatique qui, cependant, se prolonge jusqu’en 2010... Ne faudrait-il pas interpréter ce trait de composition comme une manière d’introduire une note d’espoir dans la pièce, comme si l’auteur suggérait que l’histoire, apparemment achevée, n’est pas complètement close ? Malgré l’apparent pessimisme de Marbourg, et malgré la sensation d’une fin conclusive, tout se passe comme si Clua plaçait le dénouement de sa pièce sous le signe d’une préoccupation pour le futur et d’une conscience inquiète du monde, en déréalisant, d’une certaine manière, la quatrième et dernière situation dramatique (l’épisode australien) dans une ultime séquence synthétique vers laquelle convergent chacun des univers fictionnels préétablis.

Autrement dit, si la pièce s’achève en 2000, alors cela implique que l’épisode australien doit se conjuguer au futur ou au conditionnel : il présente non pas ce qui est, mais ce qui risquerait de se produire ou ce qui se produira si les femmes et les hommes du troisième millénaire ne se tiennent pas sur leurs gardes. Ainsi, bien qu’il s’enracine dans une contemporanéité éminemment tragique qu’il reflète avec dureté – le VIH n’a pas disparu, des gens en meurent tous les jours, il y a des personnes, et en particulier des jeunes, qui ne sont plus aussi conscients qu’auparavant du risque et qui ne voient pas la nécessité de se protéger, il y a même des individus qui veulent contaminer les autres ou, comme Buck, être contaminés –, l’épisode australien doit peut-être être compris non pas comme la promesse d’un avenir toujours aussi mauvais, voire pire, mais plutôt comme une manière d’imprimer au texte théâtral un questionnement de nature éthique, en faisant appel, à travers une situation dérangeante et violente, à la conscience du danger et à la préservation de la vie.

On peut comprendre Marbourg non seulement comme une variation autour du caractère inexorable de la contagion comme métaphore des destins individuels et de l’histoire collective, mais aussi comme une réflexion complexe et dense sur la responsabilité des femmes et des hommes dans un monde sans cesse en proie aux épidémies les plus diverses. L’auteur ne clôt pas le débat, et c’est ce qui fonde en partie la richesse de sa pièce : pour Buck, être contaminé devient synonyme de liberté et de bonheur, pour Acanit la perspective du bug de l’an 2000 représente l’espoir d’un nouveau commencement et d’une sorte de régénération de l’humanité ; mais Dundy est bel et bien malade et devra prendre des antiviraux tout au long de sa vie, Claire mourra d’Alzheimer et Tom, du virus de Marbourg. L’idée de catastrophe confère ainsi au drame une forme bien singulière que l’on peut décrire comme une tension, impossible à résoudre, entre la fin (de l’humanité, de la vie, du monde) et le recommencement.