Les Extraordinaires Frères Limbourg

de Beniamin M. Bukowski

Traduit du polonais par Agnieszka Zgieb

Avec le soutien de la MAV

Écriture

  • Pays d'origine : Pologne
  • Titre original : Niesamowici Bracia Limbourg
  • Date d'écriture : 2015
  • Date de traduction : 2017

La pièce

  • Genre : drame
  • Nombre d'actes et de scènes : 13 scènes
  • Nombre de personnages :
    • 4 au total
    • 4 homme(s)
  • Durée approximative : 120 mn
  • Création :
    • Période : 26 novembre 2016
    • Lieu : Teatr - Piwnica przy Krypcie à Szczecin (Pologne)
  • Domaine : protégé

Édition

  • Edité par : Deuxième époque
  • Prix : 17.00 €
  • ISBN : 9782377690442
  • Année de parution : 2018
  • 182 pages

Résumé

Les frères Limbourg sont des peintres et enlumineurs néerlandais de la fin du Moyen Âge. Ils sont devenus célèbres grâce aux nombreux ouvrages enluminés qu’ils ont réalisés pour le duc de Berry, notamment Les Très Riches Heures du duc de Berry. Les frères Limbourg laissèrent cette dernière œuvre inachevée lorsqu’ils moururent de la peste en 1416, la même année que leur commanditaire.

Beniamin M. Bukowski s’est inspiré de l’histoire de ces célèbres artistes enlumineurs, et de leur mécène, collectionneur acharné, le duc de Berry. Avec Les Extraordinaires Frères Limbourg, il crée un pont entre le Moyen-Âge et les temps actuels. La pièce décrit les dilemmes universels de l’artiste, ses ambitions et ses contraintes, les enjeux de la création et les relations de pouvoir dans lesquels il est pris, ses interrogations et ses craintes face à la mort — autant de motifs qui fondent les scènes de la pièce et qui demeurent valables quelle que soit l’époque concernée. Du Moyen-Âge des trois enlumineurs à notre contemporanéité saturée de représentations, il interroge la question de l’image et de la création — questions de peinture, bien sûr, mais tout autant de théâtre…

La pièce par le biais du prologue montre tout d’abord l’arrivée des trois artistes auprès de leur nouveau commanditaire. Elle annonce, par la voix de ce dernier —  le duc de Berry, à la fois mécène et metteur en scène dans la pièce, est comme un symbole de la société qui lance aux artistes des défis et de hautes exigences —  la structure singulière du spectacle. Elle suit l’ordre des cycles de l’année : comme le recueil des Très Riches Heures se décline selon les douze mois de l’année. La grande originalité de la pièce est la possibilité à la fin de chaque scène/mois d’interrompre définitivement le spectacle par la mort. En effet, une roue de trois cent soixante-cinq cases est à chaque fois lancée, une de ses cases étant celle de « la mort noire », dont la sortie marquerait la fin du spectacle, « sans explication supplémentaire ».

La pièce se déploie donc en douze scènes plus ou moins courtes — une par mois, une par illustration des Très Riches Heures. Celles-ci sont reproduites au début de chaque scène, accompagnées de petits poèmes-commentaires. La dernière scène, « De Illustribus », qui clôt la pièce, s’adresse au public à nouveau par la voix du duc de Berry, avec une dernière réflexion sur les pouvoirs, les séductions et les dangers des images qui se multiplient à notre époque.

Au fil de ces scènes, de ces mois et saisons, et du passage du temps, on voit les frères Limbourg au travail, dans des moments de création ou dans d’autres de doute et d’interrogations existentielles. On les voit également, à trois reprises, répondre à la commande de leur mécène de leur représenter du théâtre — car, on l’a dit, la réflexion sur la représentation et la création que déploie Bukowski dans cette pièce concerne tout autant le théâtre que la création plastique, et se plaît à ces occasions à jouer de la méta théâtralité. Au fur et à mesure, la question de la mort se fait plus prégnante : plus précisément celle de la confrontation de la création artistique avec la réalité bien présente, la mort —  à travers le « mauvais air » de l’épidémie de peste qui règne alors au-dehors, et emportera les trois artistes comme leur puissant commanditaire - ouvrant alors la question artistique et éthique de la vanité. La création est une bataille avec le temps qui passe.

Regard du traducteur

La pièce circule ainsi en permanence entre humour et mélancolie, trivialité et questions d’absolu, ironie et vanité, entre Moyen-Âge et époque contemporaine, dans une théâtralité toujours ancrée dans la réalité du plateau et de la représentation présente. Les trois artistes tiennent des discours savants tout en restant enfermés sur un îlot bien protégé, que l’écho du monde et de la vanité vient cependant parfois ébranler. Et en même temps, ils se battent contre la dépression, contre les crises propres à chaque artiste. Ils sont suspendus entre le désir de s’exprimer librement et la nécessité de satisfaire leur mécène. Eux, qui racontent des histoires à l’aide de petites images, deviennent chez Bukowski les ancêtres de la culture de l’image contemporaine dont la consommation est soumise à une critique cinglante. La biographie historique n’est qu’un prétexte à déployer, dans une poésie sobre et qui fait la part belle à l’humour comme aux interrogations les plus métaphysiques, une interrogation contemporaine.

Les trois enlumineurs néerlandais, en tant qu’artistes représentants de la culture de l’image, questionnent le but de l’art et ses limites. Ils tentent d’affronter le sujet de la mort, les problèmes de la physique quantique (janvier), mais aussi ceux des honoraires qui sont rarement versés à temps ; sans le vouloir vraiment, ils créent également (février) la première bande dessinée… Ils sont moqueurs et blasphémateurs, mais les défis, les interrogations et les jeux qu’ils se lancent, résultent du fait qu’ils sont conscients de leur propre impuissance.

Le point de départ de la pièce, raconte d’ailleurs l’auteur, n’a pas été uniquement l’inquiétude liée au sentiment d’une crise ou d’un déclin de la civilisation. Il considère que ce sentiment accompagne l’humanité depuis plus de deux mille ans et que pourtant on ne s’en sort pas si mal. Les expériences personnelles de l’auteur, cachées dans les scènes qui se succèdent, sont aussi là dans leur concrétude quotidienne : les doutes et les limites de la personne qui essaie de créer ce qu’on appelle l’art, l’incompatibilité des produits artistiques avec le monde, et l’inévitable influence des perturbations personnelles sur le choix des thèmes choisis. Riche en références philosophiques, littéraires, plastiques et théâtrales que l’auteur puise à la fois dans le passé et dans le présent, Les Extraordinaires Frères Limbourg n’est pas un simple jeu érudit avec le lecteur, construit sur l’entrelacement des codes culturels du Moyen-Âge et de l’époque contemporaine, c’est surtout un commentaire, extrêmement actuel, sur la réalité qui nous entoure et le pouvoir des représentations médiatiques et artistiques — et une pièce d’une grande théâtralité, jouant avec les grandes questions de la représentation tout comme avec la relation qu’elle instaure dans sa réalité présente.