Le Néther

de Jennifer Haley

Traduit de l'anglais par Emmanuel Gaillot

Avec le soutien de la MAV

Écriture

  • Pays d'origine : U.S.A.
  • Titre original : The Nether
  • Date d'écriture : 2013
  • Date de traduction : 2013

La pièce

  • Genre : Tragédie futuriste sur fond d'enquête policière
  • Nombre d'actes et de scènes : 17 scènes
  • Décors : Une salle d'interrogatoire, le hall d'entrée d'une maison victorienne, une chambre d'enfant, un endroit ensoleillé en extérieur.
  • Nombre de personnages :
    • 5 au total
    • 3 homme(s)
    • 2 femme(s)
  • Durée approximative : 80 mn
  • Création :
    • Période : 24 mars 2013
    • Lieu : théâtre Kirk Douglas, Los Angeles
  • Domaine : protégé

Édition

  • Edité par : Espaces 34
  • Prix : 15.00 €
  • ISBN : 978-2-84705-156-8
  • Année de parution : 2017
  • 96 pages

Résumé

Dans un futur proche, Internet est essentiellement accédé non plus par le Web, mais par le Néther, un univers virtuel immersif composé d'une multitude de mondes virtuels thématiques. Les humains du monde réel peuvent y piloter des personnages et, sous cette apparence, interagir avec d'autres personnages virtuels, pilotés par d'autres humains du monde réel.

Sims, un homme d'âge moyen est enlevé par une milice autonome sur le motif d'y offrir, sous le pseudonyme de Papa, la possibilité à des pédophiles d'assouvir leurs pulsions et leurs fantasmes sexuels sur des enfants virtuels. La pièce déroule les interrogatoires successifs dans lesquels l'agent Morris - une jeune femme appartenant à cette milice qui cherche à moraliser le Néther - veut faire avouer à Sims l'emplacement de son serveur informatique, tandis que ce dernier est bien décidé à résister et à mettre Morris face à ses contradictions.

L'interrogatoire est intercalé d'épisodes dans le Néther, où Iris, l'un des « enfants virtuels » qui travaillent pour Papa et qui accepte de servir d'objet sexuel pour les « invités », fait la rencontre de Thomas Woodnut. Ce dernier est en fait le personnage que Morris utilise pour inflitrer le domaine de Sims. Woodnut et Iris se lient d'une amitié profonde, ce que Papa voit d'un mauvais œil et cherche à briser. Iris s'avère être dans le monde réel M. Doyle, un professeur vieillissant et désabusé, sur lequel Morris va faire pression pour qu'il dénonce Sims - ce que Doyle va finir par faire, la mort dans l'âme, avant de se tuer, convaincu par Morris que son amour envers Papa n'est pas réciproque.

Pour Doyle et Sims au final, il s'agit d'apaiser leurs angoisses et leurs pulsions dans un monde virtuel où ces pulsions sont exacerbées – ce qui est intolérable pour Morris, qui envisage au contraire un monde virtuel débarassé de ces pulsions. Le combat reste inégal et, Morris, figure de l'autorité, a pouvoir de destruction sur le monde de Sims. Celui-ci, privé d'échappatoire, se retrouve libre au final, libre de succomber à ses pulsions pédophiles dans un monde bien réel où les enfants sont réellement des enfants - réellement abusés sexuellement.

Regard du traducteur

Après Quartier 3, Jennifer Haley continue ici son propos sur les mondes virtuels. Elle explore notamment dans Le Néther la manière dont les réalités virtuelles nous obligent à revisiter les concepts de liberté et de culpabilité. Un acte de pédophilie est-il toujours condamnable, s'il n'est que fantasmé et « joué » par deux adultes consentants, en particulier lorsqu'il permet de canaliser les pulsions et éviter le passage à l'acte dans le monde réel ? Le créateur d'un monde virtuel, y occupant littéralement la place de Dieu, a-t-il une responsabilité morale vis-à-vis des autres qui y "vivent", face à ses désirs de perfection et face à la conscience plus ou moins assumée du risque de devenir un oppresseur ?

Les réponses n'étant pas tranchées, ne pouvant l'être, le spectateur se retrouve face au dilemme de vivre avec une moralité imparfaite, avec des règles qui ne s'appliquent que localement, avec des réalités intermédiaires entre le bien et le mal, qui faute de lui assurer le bonheur, lui laissent au moins l'espoir de célébrer son humanité et celle des autres, dans toute sa multitude.

Jennifer Haley revisite ainsi le temps d'une narration le concept de metaxu (μεταξύ) cher non seulement à Platon, mais aussi à Philippe Quéau, selon qui les programmes informatiques habitant les réalités virtuelles, à la fois vivants et inertes, à la fois soumis et autonomes, agissent comme les révélateurs de notre humanité, nous amenant à accepter notre enveloppe charnelle, le désespoir lié à la finitude de notre vie, l'espoir enfin de transcender nos peurs dans l'acte de création – en un mot comme en mille, à accepter notre condition d'humain.

Dans un monde où Internet est chaque jour un peu plus le théâtre (!) d'une législation liberticide, répondant à des logiques d'oppression économiques et politiques, mise en place sans débat citoyen et au nom de la protection des mœurs, il me paraît crucial d'offrir toutes les occasions possibles de se réapproprier ces thèmes pour pouvoir en discuter, sous une lumière nouvelle de tolérance envers ce monstre qu'est « l'autre », et envers cet autre monstre qu'est « soi ».