Écriture

  • Pays d'origine : Espagne
  • Titre original : El futur
  • Date d'écriture : 2019
  • Date de traduction : 2021

La pièce

  • Genre : Road movie théâtral et brechtien
  • Nombre d'actes et de scènes : un compte à rebours de 28 tableaux
  • Décors : L’Europe. Du port de Barcelone à une maison de Stockholm en passant par Strasbourg, Helsingborg…
  • Nombre de personnages :
    • 4 au total
    • 2 homme(s)
    • 2 femme(s)
  • Durée approximative : 120 mn
  • Domaine : protégé

Édition

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Résumé

En chemin vers Le Futur, vers l’impact. Il aura lieu, on le sait : chaque début de scène commence par son compte à rebours. Une JEUNE FILLE en colère assise au bord d’un quai, s’apprête à faire couler dans le port la voiture de luxe qu’elle a conduit jusque-là. Un HOMME ÉTRANGER approche, tente maladroitement de dérober à la JEUNE FILLE ses papiers d’identité. Lui n’en a pas, et doit en falsifier afin d’entreprendre le voyage qui lui permettra d’aller retrouver sa fiancée à Stockholm. La JEUNE FILLE, mue par sa colère contre son père, trop absent, ferait tout pour faire enrager ce dernier. Accompagner l’HOMME ÉTRANGER à Stockholm, par exemple. Ensemble, ils prennent la route à bord de cette voiture volée au père. Ils roulent à travers l’Europe, traversant les frontières et nous voyageons avec eux. Le temps passe. L’impact se rapproche. Petit à petit ils se révèlent l’un à l’autre. Elle s’appelle DIANA, il s’appelle HALIM. Et l’on apprend qu’HALIM a fui son pays en guerre, qu’il n’a pas vu sa fiancée depuis 5 ans, laissé derrière son passé. Et l’on apprend que DIANA, elle, voudrait fuir son futur, la lignée qu’on a tracée pour elle. Son espoir : rencontrer à Stockholm le philosophe Hennig Tössberg. Tössberg est un philosophe mystérieux, personne ne sait qui il est vraiment, personne ne l’a jamais vu. Mais ses thèses prônant la transformation radicale de notre société consumériste, et un retour à plus d’égalité entre les hommes, à une richesse équilibrée et au respect de la planète, apparaissent comme étant le seul espoir, pour la jeune fille, de se réconcilier avec la vie. Nous traversons avec eux une Europe recroquevillée jalonnée par des frontières fantômes qui n’en sont pas moins risquées pour HALIM en situation irrégulière et DIANA au volant d’un véhicule volé. Au cours de leur périple, HALIM admet transporter une bombe dans son sac à dos. Mais cette bombe a déjà explosé, ce sont ses débris qu’il transporte. Les débris de la bombe qui a fait exploser sa maison et périr une partie de sa famille. Ils les a emportés au cas où on lui demanderait un jour pourquoi il a quitté son pays, pour ne pas oublier. DIANA reconnaît le logo des composants de la bombe, c’est celui de l’entreprise de son père. Le futur est fait de hasards. Il reste trente-six heures avant l’impact. Elle décide alors qu’ils feront une pause au Danemark, dans un hôtel prestigieux, puisqu’elle sait que son père doit y tenir un discours décisif pour sa carrière politique européenne. Son père c’est l’HOMME ÉLÉGANT/ALFRED. Elle veut prendre sa revanche sur lui qui l’abandonne au profit d’une ambition nauséabonde, et le confronter aux conséquences de ses actes et de ses propos. Elle veut qu’il rencontre HALIM. Ils tombent mal, ALFRED est en train de répéter son discours qui doit avoir lieu quelques minutes plus tard. La situation explose, DIANA et HALIM repartent pour Stockholm. Alors qu’ils attendent le ferry pour passer en Suède, ALFRED les retrouve et insiste pour continuer le voyage avec eux. Sa présence à leurs côtés et son passeport diplomatique pourraient leur faciliter les choses. L’improbable trio arrive enfin à Stockholm, HALIM part de son côté rejoindre sa fiancée, tandis qu’ALFRED et DIANA se débrouillent pour retrouver la trace du Professeur Tössberg. En réalité Hennig Tössberg est une femme, la FEMME SUÉDOISE/AGNETHA. Le pseudonyme masculin lui aura permis de faire entendre sa voix qui restait étouffée tant qu’elle était portée par une femme. AGNETHA offre l’hospitalité à DIANA et ALFRED. L’impact est imminent. Le lendemain matin, tôt, ALFRED prend la voiture, il en a besoin mais reviendra bien vite. Impact. Il ne reviendra pas. Le professeur Tössberg redeviendra AGNETHA, et quittera la Suède pour enseigner à Barcelone, DIANA réconciliée avec elle-même se consacrera aux autres et à tenter de changer le cours des choses. HALIM repartira et épousera sa fiancée.

Regard du traducteur

Le futur, c’est l’incertitude, les peurs, et les désirs. Ce que l’on redoute et que l’on espère, ce que l’on ne connaît pas mais dont on rêve. Ce qui sera déjà passé à peine l’aurons-nous vécu. C’est aussi le mensonge des décideurs opportunistes. Ce contre quoi on se bat, dans le cas de DIANA, ou ce que l’on veut construire, dans celui d’HALIM.

À travers sa pièce, Helena Tornero nous offre un voyage sous forme de road movie théâtral, ou « road play » pour être plus exacte, comptant 28 séquences. La pièce commence, avec des acteurs en scène et un public. Les acteurs délibèrent pour savoir comment raconter l’histoire qu’ils sont venus jouer. D’emblée, il est clair que nous sommes dans le théâtre, dans une représentation fictionnelle. Et c’est là tout le jeu que nous propose l’auteure. Bien sûr il y a le drame qui se déroule : HALIM qui a fui son pays et veut rejoindre sa promise en Suède, DIANA perdue dans sa vie qui veut aussi aller en Suède rencontrer son guide, le professeur Tössberg, et le compte à rebours qui va nous entraîner d’une façon haletante jusqu’au drame final. Mais l’enjeu de la pièce ne se situe pas que là.

La pièce agit comme un révélateur de la réalité au travers de la fiction. Les méandres de l’épopée de DIANA et HALIM peuvent bien paraître un peu faciles : par hasard, tous deux rêvent de se rendre dans la même ville ; par hasard, le père de DIANA est un homme politique d’extrême droite ; par hasard il se trouve que la bombe qui a détruit la maison d’HALIM provient de l’entreprise du père de DIANA. Le même hasard fait que justement celui-ci participe à un meeting politique au Danemark, sur leur route, ou qu’il se trouve que tous ses personnages partagent la même fascination pour Hamlet…. Mais, en réalité, il n’y a pas de hasard ici. Il y a la main d’une auteure, qui assume et revendique la fiction de son œuvre. Une fiction proche de la réalité et qui en joue.  C’est très certainement la grande force de la pièce, ce jeu de va et vient qu’elle met en place entre les temporalités. Le passé, forcément présent puisqu’il fait ce que nous sommes et le monde dans lequel nous évoluons, le présent comme temps de l’action, et, étrangement, le futur comme temps du récit, de la narration (généralement prise en charge par LA FEMME SUÉDOISE/AGNETHA). Parler au futur semble accélérer le présent pour nous plonger sans cesse dans cette fuite continue. Jusqu’à l’impact. Et même après. Parler au futur est vouloir faire croire que l’on sait que ce qu’on le raconte va arriver. Mais qui peut prédire l’avenir ?

Il se trouve que Le Futur est né d’une commande passée par Xavier Alberti à Helena Tornero pour un public « jeune ». L’auteure prend alors le parti de s’adresser à ce public intelligemment, sans l’infantiliser, en abordant des thèmes qui touchent aussi bien les adultes. Il y a ici toute une réflexion sur la question des refugiés politiques, et l’on sait l’engagement personnel de l’auteure dans ce domaine, notamment avec les actions de son groupe PARAMYTHÁDES. Le Futur lui donne l’occasion aussi d’interroger, de nous interroger sur ce qu’est l’Europe, ce que nous en avons fait : « un monde où les marchandises et les capitaux circulent librement mais pas les personnes », et ce qu’elle deviendra. C’est toute la problématique de DIANA, jeune fille issue d’un milieu aisée, mais consciente du monde qui l’entoure. Si les politiciens choisissent de laisser mourir des gens sur des embarcations de misère, quelle attitude doit adopter la citoyenne, le citoyen ? À chacun de se forger sa réponse. Et c’est en ce sens que l’auteure ne se contente pas de la charge émotive anecdotique que pourrait drainer le récit de sa pièce, elle préfère s’adresser directement à l’intelligence de qui la voit, et de qui l’écoute. Aussi, on le voit bien, classer Le Futur parmi les pièces « jeune public » ou « ados », serait à mon sens très réducteur. Certes elle a été écrite en pensant à eux, mais en y pensant comme à des adultes en devenir.

Il y a bien sûr aussi une forme didactique dans Le Futur. Les comédiens entrent en scène, pour laisser la parole à leurs personnages (JEUNE FILLE, HOMME ÉTRANGER, HOMME ÉLÉGANT, FEMME SUÉDOISE), lesquels au fil du spectacle vont sortir régulièrement de leurs rôles pour s’adresser au public. Brecht n’est pas loin, Helena Tornero l’assume et le revendique. Mais elle a la finesse d’une grande auteure, qui ne laisse pas le discours politique envahir le spectacle. Elle semble être la marionnettiste qui tire les ficelles, qui désamorce quand le pathos pourrait prendre le pas, qui se moque gentiment de son propre discours pour mieux le faire passer, et qui a le beau geste de nous faire rire tout au long de la pièce. Elle est aussi l’illusionniste qui nous prévient qu’il faut nous méfier de ce que l’on nous dit, que l’on voudrait nous faire croire. Elle s’amuse de ce rapport entre la vérité de la représentation, la fiction de ce qui s’y joue, et le réel de ce qui y est dénoncé.

La pièce a reçu le coup de cœur des Regards Lycéens (Festival Regards Croisés / Troisième Bureau, 2022)