Klitemnestre Hermafrodite

de Reinhard Jirgl

Traduit de l'allemand par Martine Rémon

Avec le soutien de la MAV

Écriture

  • Pays d'origine : Allemagne
  • Titre original : Klitaemnestra Hermafrodit
  • Date d'écriture : 1985
  • Date de traduction : 2015

La pièce

  • Genre : tragédie avant-gardiste
  • Nombre d'actes et de scènes : 5 actes
  • Décors : Le décor du premier diptyque simule Abdère (cité grecque de la Thrace antique) et Jüterbog (petite ville du Brandebourg), un tribunal imaginaire de Sade, des scènes à bord d’un train, dans un magasin d’alimentation, lors d’une promenade en forêt, avec un chien, ou encore les monologues et rêves allégoriques des personnages.
  • Nombre de personnages :
    • 7 au total
    • 3 homme(s)
    • 3 femme(s)
    • 1 personnage hermaphrodite – 5 masques de personnages masculins
  • Domaine : protégé, pour les droits : Carl Hanser Verlag – Munich et Reinhard Jirgl

Édition

Cette traduction n'est pas éditée mais vous pouvez la commander à la MAV

Résumé

Il s’agit d’une pièce en deux parties qui peuvent s’appréhender séparément (voir Mamma Pappa Zommbi).

Résumé du premier diptyque :

Klitemnestre Hermafrodite dont l’auteur dit lui-même que le drame fut écrit en écho à la pièce de Heiner Müller, Der Auftrag (La Mission), révèle sa forte fascination pour l’universalité des mythes antiques, souvent repris dans les grands textes tragiques. Outre la source d’inspiration que sont les deux pièces d’Euripide, Électre et Iphigénie à Aulis, un autre élément déclencheur présida à l’écriture du drame : une photographie « réaliste » des ruines d’un lieu de culte de la Grèce antique. Sur les vestiges d’une fresque, on reconnaît un jeune homme… dont le pli de l’aine a été colonisé par une fourmilière. À partir de cette image, R. Jirgl dépasse la simple reproduction du mythe, il en casse la surface « lisse » et se sert des fragments comme d’un matériau linguistique pour parler de l’époque actuelle à travers un contexte historique différent : en implantant du présent, il charge le mythe d’événements issus d’une autre réalité (une dictature au 20e siècle) de sorte à pouvoir par cette discontinuité « faire usage d’un système mythique comme d’un produit industriel pour accéder aux différentes couches sédimentaires de l’expérience humaine. » Le fait d’introduire des interruptions et des perturbations dans le mythe est pour l’auteur un « moyen formel » de bousculer la « convention », de pointer « la fausse parole » en la subvertissant, voire de battre en brèche « l’utopie du paradis retrouvé qui est en soi une menace parce qu’elle implique une rupture définitive avec les réalités historiques autant qu’avec les réalités de l’Histoire. » Élaboré d’après les modèles grecs, le texte respecte par ces cinq actes la division spatiale entre chœur et acteurs, ainsi que l’alternance entre les différentes parties : Prologue – Parados – Épisodes – Stasimon – Exodos. L’écriture en strates spatio-temporelles, l’intertextualité, l’enchâssement de longs passages en prose qui puisent dans la vie quotidienne et familiale assurent la cohésion de l’ensemble dont le propos se veut « une réflexion sur l’usage du mot ou de la parole comme d’une arme contre l’autre, voire contre la langue elle-même, quand celle-ci est perçue et utilisée comme un moyen de domination. » Ajoutons que ce texte fortement empreint de l’atmosphère de la RDA au moment où il fut écrit, est devenu historique à son tour, plus d’un quart de siècle après la chute du Mur.

Regard du traducteur

Sur le fond :
Histoire revisitée d’un clan mythique rongé par la soif de pouvoir et empoisonné par des querelles matrimonio-sexuelles ou scènes de la vie ordinaire derrière le Rideau de fer, il y a quelque chose de pourri dans ces situations dénaturées, qui pousse les protagonistes au meurtre. Reinhard Jirgl éclaire à sa manière, avec des textes aux antipodes les uns des autres et aux fulgurances hyperréalistes, fantastiques, oniriques, kafkaïennes et métaphoriques, ce dont peut accoucher une dictature familiale et politique. Dans les deux drames, l’homicide (qui se veut être une vengeance) est l’œuvre de meurtrières : Klitemnestre, la femme mûre (premier diptyque), et Tine, la pré-adolescente (deuxième diptyque).  Dans le « ressenti collectif », une femme qui tue passe pour pire qu’un assassin. En théâtralisant l’homicide, et sans faire abstraction des meurtrières comme sujets éthiques, l’auteur rend l’horreur de cet acte inqualifiable et mène les spectateurs jusque dans ces parages scandaleux où l'injustifiable est rendu imaginable, voire compréhensible. Par ailleurs, le choix d’un auteur tragique comme Euripide n’est peut-être pas anodin : Euripide n’a pas hésité à écrire des pièces aux implications politiques claires. Son théâtre est marqué par la peinture réaliste et ses héros sont des êtres en proie à toutes les faiblesses humaines : passions, intérêts, bassesses. Il ne se refuse aucune innovation pour illustrer son propos. Outre les gestes de violence, on assiste à des affrontements verbaux d’une intensité inédite, à des débordements de toutes sortes, à des décisions brusques et des revirements répétés, à des impulsions parfois motivées par les sentiments égoïstes de personnages sordides.


Sur la forme :
Avant de vivre entièrement de son écriture, Reinhard Jirgl a travaillé comme technicien éclairagiste à la Volksbühne de Berlin. Le monde du théâtre l’a nourri au sens propre et au sens figuré. Le drame Klitemnestre Hermafrodite semble d’une approche difficile, en ce sens qu’il mélange deux historicités. Cependant, même en n’ayant qu’une faible connaissance du mythe grec ou de la vie dans l’ancienne Allemagne de l’Est, on se laisse porter par la fulgurance des dialogues et des indications scéniques, on est subjugué par le jeu de masques des comédiens et l’alternance des rôles, en une phrase : le spectateur est ailleurs mais dans le monde !