Il a livré ton bien à ceux qui meurent

de Mickael de Oliveira

Traduit du portugais par Ilda Mendes dos Santos

Avec le soutien de la MAV

Écriture

  • Pays d'origine : Portugal
  • Titre original : Entregou o que é teu aos mortais
  • Date d'écriture : 2006
  • Date de traduction : 2007

La pièce

  • Genre : Poème dramatique
  • Nombre d'actes et de scènes : 20 scènes
  • Décors : Sur le plateau deux pièces différentiées et communicantes : une chambre dont une seule fente latérale (une porte étroite) ouvre sur le reste de la scène (salon). Il y a dans la chambre des caméras vidéos qui projettent les actions qui s’y déroulent. Le support de projection n’est pas spécifié et c’est grâce à ce dispositif visuel que le public accompagne le jeu à l'intérieur de la chambre.
  • Nombre de personnages :
    • 12 au total
    • 8 homme(s)
    • 4 femme(s)
  • Durée approximative : entre 1 h 30 et 2 h
  • Domaine : Protégé

Édition

Cette traduction n'est pas éditée mais vous pouvez la commander à la MAV

Résumé

La pièce tisse une fable où rien ou bien peu de choses arrive, où tout (échange verbal et corporel) reproduit l’immobilisme d’un corps - celui de la Fille - réduit à l’état végétatif. On ne sait si ce statisme est la conséquence d’un accident ou d’une maladie. La Mère, omniprésente, vit dans le souci de son enfant : elle lui procure des soins, entre désir, lassitude et désespoir et projette certainement sur ce corps léthargique ses propres désirs, son désarroi, ses espoirs, sa solitude, ses fantasmes et ses fantaisies. Une autre femme - l’Amie - et des hommes surgissent, à tour de rôle, des voix (un chœur) s’élèvent ; le tout est centré sur le corps fantomatique de la progéniture.

La pièce travaille la relation quasi maladive entre une Mère aimante presque dévorante et sa Fille ; elle explore le rôle de la filiation, de la femme et du corps sensuel et sexuel. L’auteur cherche surtout à explorer le dialogue ou monologue d’une Mère car une question circule : avec qui parle la mère en dialoguant avec ces visiteurs d’une chambre condamnée à être sépulture ?

 

Regard du traducteur

Mickael de Oliveira est un nouveau venu sur la scène dramatique portugaise. Il est actuellement l’auteur de 7 pièces (dont l’une en cours de finition) qui dénotent dans une dramaturgie portugaise contemporaine qui s’intéresse plutôt au problème du langage et des faits sociétaux. Si ces éléments ne sont évidemment pas absents des préoccupations de ce jeune auteur (23 ans), leur traitement prend un pli différent, entre hyperréalisme et allégorie, non dénué de provocation.

De Oliveira s’intéresse au corps, à la chair, à la sexualité et à la violence. Il revisite des fantômes portugais bien enfouis (société castratrice, hiérarchisée, où le dialogue est la chose du monde la moins partagée malgré l’apparente abondance des échanges) et les lie à des universaux : le rôle de la famille, de la filiation, de la communauté et de la religion ; le patrimoine mythique et biblique d’une culture grecque et latine.

Il a livré ton bien à ceux qui meurent — titre extrait du Prométhée de Heiner Muller — s’apparente à un poème dramatique en 20 scènes, où la parole dit tout et ne dit rien ; où les voix d’un choeur religieux plongent en enfer plus qu’elles n’apaisent. Sur la scène démultipliée pourtant par un jeu de projections vidéo, ce qui est dit joue avec l’absence de sens et l’excès : les images veulent arrimer l’oeil du spectateur qui aimerait soudain se dérober, le faire regarder là, sentir là. Entendre la parole vide, quasi autistique, l’hymne et le râle.

La pièce présente un huis clos familial et troué, comme la chair de la Fille, la jeune femme de 25 ans vue et touchée par 6 officiants : la mère, l’amie, deux hommes, le médecin, le prêtre. De simples noms. Le tout enveloppé dans les voix d’un chœur, faisant ricochet dans le montage visuel. La notion de projection (technique mais aussi la projection psychique et psychanalytique, à savoir la libido) est de ce fait fondamentale.

Le ton « cruel » et « ému », est dépourvu de pathos. Si la matière est ambiguë, le style qui joue avec le langage poétique (coupes, cadences, rythmes) explore tout autant les possibles d’un « dire ». Les mots flottent et cherchent leur place entre exclamation, interrogation et affirmation, brouillant ainsi les frontières de l’action et de la diction, déployant les seuils d’interprétation. En ce sens, ce théâtre est aussi celui d’un questionnement moderne de la lecture et de l’acte, une mise en abyme de l’espace de la communication.

Équilibre bien difficile dans cette pièce d’apparence petite bourgeoise, sentant la naphtaline d’un intérieur souffleté sournoisement par les mythes bibliques et les figures archaïques : la Mère dévoreuse, le corps monstre et machine, le chaos et la fondation. Si on est sans cesse au bord de la tragédie, la parodie - au sens premier - introduit un souffle dans cet univers de violence sourde et lourde.

Cette fable visuelle et auditive joue avec la platitude et prend, ici et là, sauvagement le contre-pied de nos rituels (naissance, enfantement, mort) pour asseoir crûment sur la scène ce que la cérémonie voile : le corps béant, le rictus de plaisir ou de douleur, les eaux, le sang, le sperme. Beaucoup de fluides pour parler de corps morts vivants, de mots qui ne passent pas, d’une parole inhabitée à la manière du corps de la jeune femme. Défier l’isolement, la mort ou l’amour ? Banalité sans doute mais il est nécessaire de sentir et de cesser l’attente. Se sentir vivre dans un toucher qui peut aussi être le Coup.

Questions et « matériaux » éternels et épineux, balancés sur scène, qui éveillent nombre de fantômes dans une époque où le corps est sans cesse montré, dans la caresse ou le massacre. Montré mais inconnu car peu aimé ou bien trop. Le corps, dans toute son intimité, on ne veut surtout pas le voir, le pénétrer. Espace même du sacré. Et sans doute la question serait-elle d’apprendre à devenir mortel, de sentir et de toucher par là une forme de vie, ou tout simplement la liberté.