Histoire de nuit

de Sean O’Casey

Traduit de l'anglais par Isabelle Famchon

Écriture

  • Pays d'origine : Irlande
  • Titre original : Bedtime Story
  • Date d'écriture : 1951
  • Date de traduction : 1999

La pièce

  • Genre : tragi-comique
  • Nombre d'actes et de scènes : 1 acte
  • Décors : 1 décor réaliste (un meublé pour célibataires à Dublin)
  • Nombre de personnages :
    • 7 au total
    • 4 homme(s)
    • 3 femme(s)
  • Durée approximative : 1h15
  • Création :
    • Période : 2001
    • Lieu : Nouveau Théâtre de Besançon, Centre Dramatique
  • Domaine : protégé

Édition

Résumé

Angela, jeune femme délurée est embarquée pour une nuit d'amour par Mulligan, puceau confit en dévotions - le tout sous prétexte de lire des poèmes de Yeats et boire un verre de vin en grignotant un biscuit. Une fois son affaire faite, affolé à l'idée que sa logeuse ait vent de l'inconduite que représente pour lui l'acte de chair en l'absence de sanction divine, Mulligan n'aura de cesse de faire déguerpir la jeune femme. En retour, celle-ci s'ingéniera à occuper les lieux pour l'exaspérer, sans compter que sous des prétextes divers elle le délestera de ses économies et de la plupart de ses maigres possessions terrestres. De "victime" qu'elle aura failli être, Angela s'en sortira sans doute plutôt bien tandis que le malheureux Mulligan finira considéré comme fou par la logeuse tant redoutée et par Halibut, l'ami condescendant qui le prend pour un imbécile.

Regard du traducteur

(article tiré du dossier de presse de la création à Besançon)

Angela, mais qui est Angela?

L'action se passe une nuit de bruine à Dublin dans ces mornes et pas si lointaines années 50. Au temps où l'Irlande n'affichait pas sa jeunesse avec la vigueur qui la caractérise aujourd'hui, dans une Irlande donc d'avant Sinead O'Connor et U2, d'avant Roddy Doyle et les films tirés de ses romans The Snapper et The Van, d'avant tous ces jeunes créateurs qui en font un pays moderne et plus encore que cela, un pays neuf.

Au temps donc où la sensualité était très officiellement bannie et où l'on devait encore mettre un sou dans le compteur pour se réchauffer le moral. Au temps enfin où dans ce pays il n'y avait vraiment pas grand monde pour écrire au féminin à part peut-être, paradoxalement, Monsieur O'Casey, Sean de son prénom, qui a offert à la modernité un beau nombre d'héroïnes féminines, vaillantes, grandes gueules, insupportables aux yeux de beaucoup et adorables aux siens, Junon et les autres aussi, Angela, protagoniste malicieuse de la farce terrible connue en français sous le nom d'Histoire de nuit; qui sous des dehors de pantalonnade, s'entend à nous faire de la critique sociale, à visées féministes et anti-cléricales de surcroît.

Angela complice et porte-parole de son auteur, mais qui est cette Angela au fait et que lui arrive-t-il ? Est-elle, comme elle le prétend, une brave fille vaincue par la méchanceté des hommes ou une garce, une détraqueuse de vie bien ordonnée, une empêcheuse de filer droit, Miss Catastrophe number one ? Certes les avis divergent, mais en tout cas elle charme tout le monde.

L'histoire se déroule dans la morne chambre d'un meublé pour célibataires de bon aloi tenue par la respectable Miss Mossie, le chignon sage et la godasse triste, peine à jouir professionnelle, garde-chiourme par vocation et ex-somnambule.

Sous prétexte de lire benoîtement quelques vers de Yeats, Mulligan, un jeune employé de bureau qui ne prend pas beaucoup de temps pour l'amitié et n'a manifestement jamais connu l'amour, craignant même d'aller au bal de la paroisse, ramène chez lui à des heures indues la belle. "Une fille de vingt-cinq ou vingt-sept ans, grande, bien fichue, aux cheveux auburn, tendant vers le roux. Non dénuée de dignité, tout en ayant quelque chose de païen."  Dès sa première apparition sur le plateau, les préférences de l'auteur sont posées : "Que ce soit pour une heure, une année ou une vie, de loin et de très loin une compagnie beaucoup trop bien pour un type comme Mulligan", la décrira-t-il dans ses didascalies.

Celle-ci sait y faire à bien des points de vue et fera passer cette  grenouille de bénitier de Mulligan par tous les émois réservés à la vertu défaillante et néanmoins satisfaite.

Enfin initié aux plaisirs de la chair, il s'en repent immédiatement une fois son affaire faite et pour retaper sa moralité appelle à la rescousse une "armada de saints" on ne peut plus rocambolesques et jaillis tout frais de la verve O'Casienne : Saint Justopole, Saint Roupillonus, Sainte Pantalomélie, Sainte Camisoline, Saint Cucurbitarisque et Saint Correllionaire sont ainsi successivement invoqués.

Sans songer un instant aux conséquences possibles de son acte pour la jeune femme (par exemple "tomber" enceinte dans un pays où la contraception est interdite et le divorce de même), Mulligan s'affole exclusivement sur son propre sort et n'a de hâte que de la faire déguerpir. Si par malheur Miss Mossie s'apercevait de ses agissements honteux (le sexe sans sanction divine), et si son copain Halibut (lui-même jouisseur à la petite semaine) voyait craqueler son masque de pudeur, si pour sa plus grande honte le curé, et pourquoi pas la ville toute entière, hein, pour faire bon poids, avait vent de l'affaire ? C'en serait fini "du peu de vernis que lui accorde l'existence". Alors out Angela, dehors gourgandine, vile tentatrice, etc…

Cette dernière, que l'on peut imaginer sincère au départ, donc déçue, se sentant une fois de plus "flouée", s'ingéniera en retour à occuper les lieux pour exaspérer le freluquet égoïste et sans consistance, sans compter que sous des prétextes divers elle le délestera de ses économies et de la plupart de ses maigres possessions terrestres. De "victime" qu'elle aura failli être, Angela s'en sortira sans doute plutôt bien tandis que le malheureux Mulligan finira considéré comme fou par la logeuse tant redoutée et par Halibut, l'ami condescendant qui le prend pour un imbécile puisque longtemps puceau.

Et dès lors la pièce entre de plein fouet dans une modernité qui justifie non seulement qu'elle soit remontée mais également qu'elle soit retraduite. Certes nous ne connaissons peut-être pas tous personnellement des Mulligan, des Miss Mossie, des Halibut et des Angela, mais ils existent encore, oh oui, et pas seulement en Irlande, soyons-en bien persuadés, et en bien plus grand nombre qu'on ne saurait imaginer. Le moralisme est victorieux, regardons du côté des Etats Unis et de son "politically correct" bien sûr, mais regardons aussi chez nous où la jeunesse ne s'autorise pas la moindre anarchie et se conforme jusque dans ses tristes révoltes. Où les tragiques maladies qu'on connaît ont ruiné l'appétit sensuel de générations entières? Mais ces mêmes maladies ne sont-elles pas prétexte à faire resurgir des peurs et des comportements à peine enfouis par des années de fallacieuse libération des mœurs ?

Malgré tout, chacun fait comme il peut, O'Casey semble vouloir nous dire, aucun de ses personnages n'a droit à sa réprobation, surtout pas Mulligan, pitoyable certes, minable le plus souvent, mais touchant parce qu'humain, parce que vivant. Et encore plus vrai pour Angela. Humaine elle aussi. Féminine. Sincère jusque dans ses jeux. Finalement l'avertissement lancé par O'Casey au travers de ces deux paumés de la vie amoureuse, est que le pire pêché est peut-être l'absence de générosité. C'est cela que Mulligan va payer, cher, très cher. Jusqu'à la folie presque, jusqu'à l'opprobre.

Alors, en ces matières, puisque la pièce s'inscrit dans un maintenant et dans un bientôt immédiat, autant appeler un chat un chat, autant dire cul pour parler de cul, autant utiliser des mots de maintenant pour dire maintenant. O'Casey a fait preuve d'un culot phénoménal en écrivant cette pièce-là à ce moment-là, il lui a d'ailleurs fallu quitter sa ville pour dire cette ville, son pays pour dire ce pays. Alors ne le laissons pas confiné dans les tristes retombées de la pensée De Valerienne et dans ses meublés dublinois, convions-le chez nous, où il y a encore du boulot à pourfendre les idées reçues et à protéger les jolies filles qui ont envie de profiter de la vie et les jeunes hommes qui en chialent de ne pas savoir s'envoyer en l'air.

Angela, qui est Angela? Ni une vamp, ni une putain, une brave fille en somme, vous savez la voisine du deuxième, mais non celle-là là qui habite au coin de la rue, tiens elle s'est coupé les cheveux. Brune, blonde, rousse, irlandaise, française ou guatémaltèque, on s'en fout, c'est Angela, elle est comme ça, plus qu'un personnage, une personne. Angela quoi.

Et Sean O'Casey, lui, dans tout ça ? Un grand auteur irlandais ? Moi je dirais un grand auteur tout court. D'ailleurs, le chantre américain de la négritude, Langston Hughes, n'avait-il pas raison d'affirmer : "Le local et le régional peuvent devenir universels. Les irlandais de Sean O'Casey en sont un exemple…."

                                                                                              ISABELLE FAMCHON