Hémon (La tragédie de Antigone selon le conte de le amoureux)

de Antonio Piccolo

Traduit de l'italien par Emanuela Pace

Avec le soutien de la MAV

Écriture

  • Pays d'origine : Italie
  • Titre original : Emone (La traggedia de Antigone seconno lo cunto de lo innamorato)
  • Date d'écriture : 2015
  • Date de traduction : 2018

La pièce

  • Genre : La tragédie d’Antigone, sans Antigone et sous forme de conte tragi-comique.
  • Nombre d'actes et de scènes : Découpage en 8 scènes, avec un prologue (scène 1), un intermède (scène 4) et un épilogue (scène 8).
  • Décors : L’indication essentielle est un périmètre de sable (autrement dit, un espace délimité imaginaire). À l’intérieur de ce périmètre, selon les scènes, sont indiqués trois lieux distincts (devant la maison d’Ismène et Antigone / Au palais royal / hors des murailles de Thèbes) : ils peuvent sans doute rester imaginaires. En-dehors du périmètre de sable, la didascalie indique : « ailleurs » (prologue/intermède/épilogue).
  • Nombre de personnages :
    • 4 au total
    • 3 homme(s)
    • 1 femme(s)
  • Durée approximative : 90 mn
  • Domaine : protégé

Édition

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Résumé

Un individu entre en scène et trace avec du sable un périmètre sur le plateau. Il s’adresse aux spectateurs, on apprend qu’il est Hémon (fils de Créon, neveu d’Œdipe), que ce qu’il voulait, enfant, c’était travailler, pour changer le cours de la malédiction de sa famille des Labdacides - royale peut-être, mais au sort pas très enviable. Et faire de son mariage annoncé avec sa cousine Antigone la renaissance de sa belle ville de Thèbes. Un personnage féminin pénètre le périmètre de sable, Ismène. Elle s’adresse à une Antigone « hors-champ » s’apprêtant à contrevenir aux ordres de son oncle d’enterrer Polynice. On ne voit pas Antigone, et on ne la verra jamais.

À travers cette perspective inédite, les péripéties de la tragédie antique sont bien reconnaissables. Pourtant, chacun de ces personnages acquiert une épaisseur toute contemporaine : une Ismène déchirée entre son amour pour sa sœur et sa vie détruite ; un garde « crève-la-faim » enrôlé par nécessité ; un Créon, homme de pouvoir, terre-à-terre dans ses échanges et concret dans ses décisions ; et Hémon, amoureux, mais surtout porteur d’un idéal « démocratique ». La nouvelle proposition d’Hémon : que tous lancent en l’air une poignée de sable qui ira à son gré sur le cadavre de Polynice. Il sera ainsi recouvert sans pour autant que personne ne désobéisse au roi ; pas de geste héroïque mais celui d’un peuple tout entier. Échouant à convaincre Ismène et le garde, il exécute ce geste seul, puis se tue, fidèle à l’histoire.

Dans l’épilogue, il revient : c’est donc depuis le lieu des morts qu’il a reconvoqué les personnages pour pouvoir raconter Sa version des faits, loin du récit « officiel ». Ce n’est pas par amour qu’il a voulu mourir, mais parce que le temps de son idéal n’était pas encore venu. Pour Ismène la raison est tout autre, chacun considère Son histoire comme l’« histoire vraie ». Alors, puisqu’ils ont l’éternité devant eux, Hémon part chercher les « autres » pour entendre leur vérité : que chacun lui conte Son histoire, Son récit du mythe bien connu…

Regard du traducteur

Le texte d’Antonio Piccolo se distingue des classiques réécritures du mythe. La force et l’inventivité de sa pièce résident dans la singularité de sa langue et de sa composition.

La construction de la pièce est remarquable, se déployant en un nombre limité de séquences : chaque péripétie se développe inexorablement, inventant une dynamique tragi-comique.

Aucun des épisodes de la tragédie n’est neuf, chacun des personnages, leurs points de vue, leurs relations le sont. Antigone absente, cette « disparition » rend possible le contre-champ du mythe : revoir l’histoire à travers les yeux d’Hémon. Le désormais protagoniste porte le récit - au présent, en adresse directe -, qui enchâsse l’histoire d’Antigone. Cette structure, mêlant actualité de la narration et temps de la reconstitution, rend les préoccupations des personnages plus proches : la violence du temps de guerre ; la manière de faire société ; les rapports de force ; l’idéal démocratique ; la « raison d’état » ; ce qui conduit à mourir pour la religion parce que le monde tel qu’il est n’offre plus aucune raison de vivre, autant de confrontations entre les quatre protagonistes autour desquels l’auteur resserre l’intrigue.

La variété des registres (poétique, léger, trivial, farcesque, tragique) constitue l’autre singularité de la pièce. Elle est l’autre face du mythe. Elle traverse chacun des personnages, dont les questionnements humains sont portés par la vivacité d’une langue napolitaine (langue théâtrale de longue tradition), revisitée.

Le choix de la langue d’écriture effectué par Antonio Piccolo est fondamental dans la construction de sa pièce. Dans son avertissement, il dit s’être inspiré, pour sa langue et son récit, du Cunto dei cunti de Giovan Battista Basile (XVIIème siècle) et cite Vittorio Gassman interprète du Brancaleone de Monicelli pour l’état d’esprit. L’auteur évoque encore le « presepe » napolitain, la crèche où se côtoient Béthléem et Naples, le pain azyme et la pizza, les rois mages et Totò. Ce métissage, ce bouleversement du « haut » et du « bas », du proche et du lointain tordent cette langue, bien localisée géographiquement, pour inventer un nouveau territoire, aux confins de plusieurs autres.

Tenter de faire « entendre » et faire exister cette théâtralité en français, c’est être attentive à la construction de la phrase chez Piccolo, son lexique, sa poésie et son rythme. J’ai voulu travailler au plus près de la structure syntaxique d’origine ; explorer les images, l’étymologie, les différents emprunts, les néologismes ; jouer sur les occurrences, les registres et les écarts. En somme, le jeu avec la langue française s’est en tous points inspiré du jeu et du faisceau de références mis en place par l’auteur italien.