Goodbye Europa. Lost words

de Davide Carnevali

Traduit de l'italien par Caroline Michel

Avec le soutien de la MAV

Écriture

  • Pays d'origine : Italie
  • Titre original : Goodbye Europa. Lost words
  • Date d'écriture : 2014
  • Date de traduction : 2015

La pièce

  • Genre : Drame politico-futuriste
  • Nombre d'actes et de scènes : 6 parties
  • Décors : Le siège d’une grande entreprise ; Un bar ; Lieu indéfini
  • Nombre de personnages :
    • 3 au total
    • 2 homme(s)
    • 1 femme(s)
  • Durée approximative : 1h30
  • Domaine : protégé

Édition

Cette traduction n'est pas éditée mais vous pouvez la commander à la MAV

Résumé

Au début du 21ème siècle, le grand projet d’une Europe unie est sérieusement remis en cause.
La crise économique des dernières années a mis à mal un certain modèle de statut social et le concept même de social-démocratie ; les nationalismes ressurgissent et le sentiment d’appartenance à une communauté est en train de se perdre. Un futur existe-t-il pour l’Union Européenne ? Et si oui, lequel? A quoi se destinent les nouvelles générations ? Quelle société leur souhaitons-nous, et que sommes-nous précisément en train de leur préparer ?

Hommes, femmes, animaux et objets sont les protagonistes de cette œuvre, où le discours perd sa fonction rationnelle et montre, au contraire, son inefficacité à décrire le monde, qui s’ouvre désormais à nos yeux comme une réalité informe. Les êtres humains prennent une dimension objective, les animaux une dimension anthropomorphique, et les objets s’animent ; la nature suit un cours aberrant, au sens étymologique du terme : elle dévie du parcours qu’elle devrait logiquement suivre, elle abandonne le droit chemin et se perd dans le chaos. Dans tout ceci, la composante linguistique joue un rôle fondamental car elle cherche elle-même à fuir cette logique, se réfugiant dans l’imaginaire ou le poétique. Le scénario est apocalyptique et on assiste à l’apocalypse du langage : la révélation de sa propre insuffisance et la manifestation de tout ce que les mots ne peuvent décrire.
Avec ce texte se referme le Diptyque de l’Europe. Sweet Home Europa était un texte sur la naissance de l’Europe. En revisitant les mythes bibliques contenus dans les livres de la Genèse et de l’Exode, ce texte parlait d’immigration et d’émigration, du choc des cultures et de la formation de l’identité, mais surtout de la peur de l’ « autre », de ce que l’on ne connaît pas.
Lost Words, à l’inverse, est une œuvre sur le déclin de l’Europe. Elle va puiser dans les Evangiles et l’Apocalypse de Jean un substrat mythologique et une certaine symbolique permettant d’interpréter le lien profond entre un système de marché et une vision bien précise du monde qui se sont imposés de façon hégémonique dans la société occidentale contemporaine. Tous deux basés sur la nécessité d’attribuer une valeur (économique, linguistique) univoque et définissable à tous les éléments, dans un système stable capable d’imposer un ordre à la réalité ; et, pour cette raison même, tous deux incapables de la comprendre dans sa totalité.

Regard du traducteur

Cette pièce noire et sans compromis dresse un tableau d’un monde en perte totale de repères, désormais privé de toute éthique morale et déontologique. L’ironie violente de ce texte se niche précisément dans le fait que sa teneur surréaliste – dont l’auteur use et abuse pour le bonheur d’une théâtralité sans cesse renouvelée- résonne pourtant à nos oreilles de façon étrangement familière. On reconnaît dans cette folie où les humains ne sont plus présents au monde que pour son aspect économique, où les animaux travaillent et les objets parlent autour d’un verre, où les anges sont attachés en laisse, l’aberrante réalité dans laquelle nos existences tentent de survivre, et de faire survivre le monde ancien- symbolisé ici par le mythe biblique- sur lesquelles elles s’enracinent. En effet, les paroles de l’Apocalypse de Jean s’insinuent ça et là, comme des ruisselets de sang, comme des paroles pleines et fortes, dans la froideur de la langue de bois anglo-saxonne d’un monde politique si obnubilé par son pouvoir et par lui-même, qu’il se réduit désormais à trois êtres humains.
Par ces ruptures stylistiques, de vocabulaire, mais aussi, de langue, d’écriture - à des courtes répliques économiques et utilitaires, viennent subitement se greffer des passages lyriques emprunts de mythe pur - Davide Carnevali place le lecteur et le spectateur dans la folle schizophrénie que propose le monde contemporain, et plus particulièrement, ceux qui le dirigent. Comme dans Variations sur le modèle de Kraepelin, où le texte lui-même était Alzheimer dans sa structure dégénérative, dans Lost Words, l’Apocalypse a lieu dans sa forme et son contenu, et là encore, c’est le langage lui-même qui échoue, qui rend les armes, puisque à la fin, les objets parlants décrètent qu’ils n’ont même pas de bouche, tandis que le texte funèbre final et totalement « déréglé » dans sa forme, dénonce la perte de l’imagination.
Une pièce noire, aux lueurs caravagesques : celle du rire qui éclate au détour d’un Ours qui danse ivre, celle de la tendresse qui sur fond de cruauté et de froideur, s’illumine d’une dimension précieuse, se palpe, se sent, se ressent, et donne envie, plus que jamais, de la préserver comme une espèce menacée.