Écriture

  • Pays d'origine : Brésil
  • Titre original : Álbum de família
  • Date d'écriture : 1945
  • Date de traduction : 2020

La pièce

  • Genre : tragédie
  • Nombre d'actes et de scènes : 3 actes
  • Nombre de personnages :
    • 13 au total
    • 7 homme(s)
    • 6 femme(s)
    • Parmi les personnages masculins, Nonô n’apparaît jamais sur scène, on entend juste ses cris. La même chose pour La Femme enceinte, parmi les personnages féminins.
  • Durée approximative : 120 mn
  • Création :
    • Période : 28 juillet 1967
    • Lieu : Teatro Jovem, Rio de Janeiro, Brésil
  • Domaine : protégé – Espólio Nelson Rodrigues

Édition

Cette traduction n'est pas éditée mais vous pouvez la commander à la MAV

Résumé

L’histoire d’Album de famille se passe dans la propriété rurale d’une famille dont on pourrait dire que l’inceste est la loi. Jonas, le père, ne satisfait ses désirs sexuels qu’avec des gamines d’environ 15 ans, que lui procure sa belle-sœur, Tante Rute. Quand la pièce commence, une de ces gamines est en train d’accoucher dans une chambre de la maison familiale. On ne la voit jamais, mais on entend ses cris et ses jurons, qui vont ponctuer toute l’action. Cette tare de Jonas n’est en fait autre chose que l’amour qu’il voue à sa fille Gloria. Amour entièrement réciproque, d’ailleurs. Gloria est pour ainsi dire hantée par l’image de son père, qu’elle voit partout, et qui se confond tout spécialement avec celle du Christ sur les crucifix des églises. Les rapports incestueux n’en restent pas là. Guilherme, le fils aîné, représente l’inexorabilité de ce sentiment familial. Sa décision de devenir prêtre ne l’affranchit pas de la sensualité effrénée qui marque cette lignée. Il ira plus loin : il se châtre. Ce qui ne l’empêchera pas d’être toujours obsédé par sa sœur, allant jusqu’à la tuer – se suicidant ensuite – parce que celle-ci refuse de partir avec lui, rechassant ses promesses d’un amour pur, dû à son impuissance volontaire. La mère, D. Senhorinha, est à son tour l’objet du désir de son autre fils, Edmundo. Marié, il se sépare de sa femme – qu’il n’a jamais touchée –, et revient à la propriété familiale, d’où il avait été chassé par son père. Il avoue son amour à sa mère et se tue devant elle, quad celle-ci lui avoue avoir eu un amant. Ce qu’il ne saura jamais, c’est que cet amant, c’était son autre frère, Nonô, qui devint fou après avoir couché avec sa mère et vit dans les bois de la propriété, entièrement nu, comme une bête sauvage. On ne le voit jamais sur scène non plus, mais on entend également ses cris, qui ponctuent eux aussi toute l’action. L’inceste le renvoie à une sorte de primitivité, qui sera également le sort de D. Senhorinha, à la fin de la pièce. Elle va rejoindre Nonô, après avoir tué Jonas, qui ne supportait plus de vivre après la mort de Gloria. Comme contrepoint à l’action qui se déroule, il y a, tout au long de la pièce, une série de tableaux vivants représentant des prises de photos des personnages pour un album de famille. Ceux-ci sont accompagnés de commentaires tout à fait déplacés d’un speaker, qui font croire qu’ils vivent dans un monde idyllique d’amour et d’harmonie. L’auteur définit ce speaker comme « une sorte d’opinion publique ».

Regard du traducteur

Album de famille, tragédie en 3 actes, est la troisième pièce de Nelson Rodrigues. Écrite en 1945 - peu après le succès de Robe de mariée en 1943 -, censurée le 17 mars 1946, libérée presque 20 ans plus tard, le 3 décembre 1965, elle a été créée le 28 juillet 1967 à Rio de Janeiro.

Avec elle s’inaugure ce que Nelson Rodrigues appellera son « théâtre désagréable », qu’il décrit dans un article paru en 1949 dans le premier numéro de la revue Dionysos (ce texte a été publié en France, en octobre 1990, dans le numéro 151 de la revue Art-Press). Sur Album de famille, on y lit :

« Dans toute la presse, la brésilienne, on a écrit sur le drame qui fut qualifié par un critique de gynécologique. On était passionnément contre. […] Par exemple, on disait qu’il y avait des incestes en trop, comme s’il pouvait y avoir des incestes en moins. […] Quelques critiques étaient disposés à admettre un inceste, ou deux ; pas plus. D’autres signalaient mon insistance à la turpitude ; des troisièmes décrétaient l’incapacité littéraire ; on a aussi enregistré l’inexistence d’un dialogue noble. Ce dernier défaut paraissait à lui tout seul exclure Album de famille du genre tragique. […] Et ce n’était pas tout. Il y eut, encore, des accusations de morbidité, d’immoralité, d’obscénité, de sacrilège, etc., etc. […] Et, pourtant, plusieurs critiques étaient d’une fragilité à faire pitié. J’aurais pu alléguer, pour défendre Album de famille, plusieurs choses, y compris que, pour des fins esthétiques, peu importe un, deux, trois, quatre, cinq incestes ou une demi-douzaine. Il aurait pu y en avoir cent. […] Un autre auteur ou moi-même aurait pu faire de l’inceste une exception dans la pièce, un fait solitaire. Mais je ne l’ai pas voulu, pour une raison très simple : parce que cette exception n’appartenait pas à la conception originale du drame, à sa logique intime et irréductible. »

Dans cette pièce, Nelson Rodrigues s’attaque à la famille traditionnelle, patriarchale, chrétienne. Il y met en scène l’imbrication du pouvoir et du désir, des rapports sexuels notamment.

Il y a deux répliques de Jonas qui sont, à mon avis, la clé pour comprendre cette tragédie.

L’une montre bien l’hypocrisie qui est à la base même de cette structure familiale :

« Jonas (en criant) – Mais EUX, ils se trompent à mon sujet. Je suis le PÈRE ! Le père sacré, le père, c’est le SEIGNEUR ! (hors de lui) Maintenant je vais lire la Bible, tous les jours, avant le dîner, surtout les versets qui parlent de la famille ! » (Acte I)

L’autre, la violence du désir liée à l’impuissance, à une insatisfaction perpétuelle. Le pouvoir de l’homme sur la femme comme une tentative de cacher, de masquer cette impuissance, cette insatisfaction :

« Jonas (change de ton) – Le pire, c’est que je n’en trouve pas une, je n’y arrive pas... J’ai envie de frapper, d’étrangler même ! Ce sont des cochonnes et moi aussi ! (il tombe en prostration) » (Acte I)

Et il y a cette réplique d’Edmundo, qui résume le tout :

« Edmundo (il change de ton) – Mère, parfois j’ai le sentiment que c’est comme si le monde entier était vide, et que personne d’autre n’existait, à part nous, c’est-à-dire toi, papa, moi et mes frères. Comme si notre famille était unique et première. (une sorte d’hystérie) Alors, l’amour et la haine devraient naître entre nous. (retrouvant sa conscience) Mais non, non ! (il change de ton) – Je pense que l’homme ne devrait jamais sortir de l’utérus maternel. Il devrait y rester, toute sa vie, bien blotti, tête en bas, ou en haut, par les fesses, je ne sais pas. » (Acte III)

Il faut noter que c’est D. Senhorinha qui, à la fin, aura la force et le courage de se livrer à l’appel du désir : elle va rompre avec le tabou de l’inceste et partir vivre avec son fils Nonô dans la nature. Nonô qui, ayant couché avec sa mère, ayant dépassé lui aussi les barrières du tabou de l’inceste, bascule dans un état pré-langage, ou au-delà du langage, et retourne à un état primitif, vivant « comme un sauvage ». C’est pourquoi on ne le voit jamais sur scène : il est hors du langage. Le faire paraître sur scène serait un contre-sens.