Écriture

  • Pays d'origine : Brésil
  • Titre original : Abnegação
  • Date d'écriture : 2013
  • Date de traduction : 2016

La pièce

  • Genre : pièce politique trash
  • Nombre d'actes et de scènes : 2 scènes
  • Décors : Une maison dans la propriété de l’un des membres du parti. 1. Dans le salon de la maison 2. À l’extérieur, entre la maison et trois silos de stockage.
  • Nombre de personnages :
    • 5 au total
    • 4 homme(s)
    • 1 femme(s)
    • 1 des hommes est plus jeune que les autres (la trentaine), les trois autres sont plutôt des quarantenaires-cinquantenaires.
  • Durée approximative : 60 / 90 mn
  • Création :
    • Période : avril 2014
    • Lieu : São Paulo
  • Domaine : protégé

Édition

Résumé

Cinq membres d’un parti politique dans une maison à la campagne, après une soirée bien arrosée. Il est 4h du matin, ils discutent. Un événement du passé dont il ne faut pas trop parler – « l’accident » – affleure dans la conversation. La tension monte. Les excès (la nourriture, l’alcool, la drogue, le sexe, les cris…) contrastent avec le dialogue tendu, troué, elliptique, les sous-entendus, les silences parfois. On parle par allusions, le désespoir s’installe. La pièce interroge les relations de pouvoir à l’intérieur d’un parti politique, les bas-fonds du pouvoir, la relation tendue entre les sphères privée et publique. Des histoires sordides (le meurtre d’une prostituée dans une boîte de nuit, par exemple) reflètent la violence des actions accomplies (ou à accomplir) au nom du parti et du pouvoir. Afin de protéger le collectif – le parti donc – l’un des cinq personnages doit se suicider et assumer la responsabilité des faits du passé – de « l’accident ». Les dialogues très rythmés sont construits comme une espèce de partition de musique contemporaine. Portrait lucide du monde caché des affaires de la politique, du fonctionnement des partis, de la relation homme / femme au sein de l’institution politique – et de la fin des utopies. Tout est susceptible d’être manipulé, le langage en premier lieu.

Regard du traducteur

Abnégation est le premier volet d’une trilogie intitulée Trilogie politique écrite et mise en scène entre 2013 et 2016 par Alexandre Dal Farra. Le théâtre politique et expérimental joue un rôle de plus en plus important dans le vaste paysage artistique brésilien. Dal Farra s’inscrit dans ce mouvement. Il propose une dramaturgie qui porte un regard critique sur la réalité sociale et politique du Brésil, sans pour autant afficher une idéologie ou pratiquer un théâtre documentaire. Il s’agit bel et bien d’une fiction théâtrale, inspirée de faits réels – l’histoire du Parti des Travailleurs et de son arrivée au pouvoir – que l’auteur conçoit comme trois textes indépendants qui abordent le même sujet, à des périodes distinctes et sous des formes dramaturgiques différentes.

Dans Abnégation Dal Farra se propose de dévoiler, tout en les questionnant, les coulisses et les bas-fonds du pouvoir politique. Après avoir fait des recherches sur l’histoire du PT et sur ces dix dernières années où la gauche brésilienne a gouverné, l’auteur s’intéresse à l’homo politicus contemporain : très vite séduit par l’idéologie néo-libérale une fois arrivé au pouvoir, oublieux de toutes les promesses historiques de réformes profondes, il se livre au jeu de la corruption, de l’autoritarisme et de la dissimulation, voire du crime, au profit de ses propres intérêts et de ceux du parti. Dans un huis clos à la campagne, Dal Farra met en scène cinq membres d’un parti politique au bord de l’abîme. Il n’y a pas de fable, mais un certain nombre de situations où les personnages, toujours sur le fil du rasoir, essaient d’exorciser leur mauvaise conscience, après avoir franchi une frontière éthique où les sphères privée et publique se confondent. Face à « l’accident », l’un d’entre eux doit faire preuve d’abnégation pour sauver le parti. Ces personnages, finement ciselées par Dal Farra, nous montrent ainsi la violence de l’instrumentalisation mise en œuvre par la machine politique libérale dont l’une des conséquences aurait été l’échec de la gauche, de ses idéaux et de ses utopies. À l’origine de cette dramaturgie que nous pourrions peut-être appeler dramaturgie de la faille – rien n’est dit, tout est suggéré, manipulé – se trouve un dialogue poreux, lacunaire, rythmé, où les phrases courtes, les silences, les non-dits, les sous-entendus, intensifient l’atmosphère de soupçon et de dissimulation d’un délit grave dont les conséquences dans la vie publique sont irréversibles.

À la fois théâtral et cinématographique – la longue didascalie initiale qui décrit l’arrivée de trente voitures noires dans la propriété rurale où aura lieu la réunion de certains membres du parti en témoigne – l’univers d’Alexandre Dal Farra nous met face à un monde trouble et implacable où politique et crime se côtoient dans une tension permanente. L’auteur est brésilien, le texte aussi. Mais les contradictions de la gauche, son effondrement, le désenchantement et la dépolitisation des masses qui renvoient à une crise sociale et politique sans précédents ne sont pas seulement brésiliennes : « Notre maintenant est cette turbulence » (H. Michaux).