Leçons de cuisine d’un habitué des wc publics

de Rocco d' Onghia

Traduit de l'italien par Ginette Herry

Écriture

  • Pays d'origine : Italie
  • Titre original : Lezioni di cucine di un frequentatore di ussi pubblici
  • Date d'écriture : 1988
  • Date de traduction : 1994

La pièce

  • Genre : tragicomédie allégorique à dénouement macabre
  • Nombre d'actes et de scènes : 3 actes, pas de découpage en scènes
  • Décors : (unique) un local de W.C. publics souterrains
  • Nombre de personnages :
    • 5 au total
    • 4 homme(s)
    • 1 femme(s)
  • Durée approximative : 1 H 45
  • Création :
    • Période : 1992
    • Lieu : Théâtre, ville : Festival d'Asti – groupe della Rocca
  • Domaine : Protégé : l'auteur+ Editions Ricordi

Édition

Résumé

I – A l'aube, dans les W.C. publics que gère Marbone  et qu'entretient son souffre-douleur Nuccio. Le Docteur, un insomniaque qui n'a  jamais exercé la médecine mais se livre à des expériences culinaires, s'est réfugié de nuit dans ces W.C. publics et il restera assis à vue sur le "trône" qu'il a élu jusqu'à l'aube suivante. De là, il délivre conseils, biscuits de sa façon et recettes de cuisine, et il confie à Nuccio qu'il a renoncé à la médecine le jour où il a découvert que sa mère, cuisinière dans un restaurant, était obligée de coucher avec son patron pour ne pas perdre son emploi et lui payer ses études : depuis lors, il ne s'intéresse plus qu'à la cuisine expérimentale : la pénurie guettant irrémédiablement la société de consommation, il faut habituer les gens, sans qu'ils s'en aperçoivent, à consommer des aliments qui resteront abondants, les rats par exemple. Le Docteur surveille aussi un autre habitué, Angiollo Pizzo,  souteneur, prêteur sur gages et revendeur de drogue qui maltraite Nuccio et trouve le moyen d'humilier aussi le Docteur en se moquant de sa femme qui l'a quitté ; ceci avant de violer dans les W.C. une femme nommée Carmela (mari malade, trois enfant à charge) qu'il veut mettre sur le trottoir pour se rembourser de l'argent qu'il lui a prêté. Le Docteur promet de faire bientôt "mourir de rire" Angiolo Pizzo en lui racontant des histoires.

II – Tard, le soir du même jour. A l'insu de Marbone - que le Docteur a tué à la hache pendant l'entracte mais on ne l'apprend que plus tard - le Docteur offre à Pizzo un festin de mets étranges mais délicieux de sa composition, servis par Nuccio. Il se met à raconter comment  il est tombé amoureux de sa femme, Marina, quant elle avait 14 ans, et comment la mère de celle-ci a fait de lui, sept ans durant sans qu'il se rebelle, son homme à tout  faire dans le bureau de tabac qu'elle gère et son esclave au lit la nuit. Un jour, le sentiment de la vengeance naît en lui, et la vieille disparaît. Pizzo, buvant et bâfrant pendant tout le récit rit beaucoup.

III – Vers la fin de la nuit qui est aussi la fin de la fête : Pizzo ivre danse avec Nuccio déguisé en femme : le Docteur continue le récit et Pizzo continue à rire. Après avoir tué la mère, le Docteur a épousé Marina, mais un autre enfer a commencé : la jeune femme s'est mise à ressembler à sa mère et a  tromper son mari avec des jeunes gens de plus en plus jeunes et de plus en plus nombreux. Pendant des années, il a été la fable de la ville, jusqu'au jour où le sentiment de la vengeance renaît en lui. Il tue sa femme et l'amant du jour, les découpe en morceaux qu'il intègre dans ses mets. Il empoisonne aussi et utilise de même, peu à peu, tous ses "ennemis" : ceux de la ville qui l'ont humilié. Pizzo ne rit plus, il est en train de mourir empoisonné. L'aube est venue, le Docteur pense avoir ainsi montré à Nuccio comment on se révolte et domine sa peur, il demande au pauvre garçon de le tuer à la hache car ils sont désormais devenus objectivement "ennemis". Nuccio s'exécute en pleurant puis nettoie au tuyau d'arrosage le flot de sang qui a passé sous la porte du W.C. et envahi le plateau.

 

Regard du traducteur

Ces étranges "Leçons de cuisine" cultivent savamment l'horreur ; mais elles sont aussi très savamment construites, leur écriture manifeste une remarquable puissance d'évocation et elles comportent un sens allégorique.

L'action se déroule à la fois sur deux plans. Le plan du présent des W.C. publics avec ses actions concrètes quotidiennes puis celles de la "fête" qu'offre le Docteur à Pizzo, la mort de ce dernier, la mort du Docteur ; les répliques alors sont courtes et efficaces. Le plan des couches successives du passé du Docteur (enfance et jeunesse = acte I ; étranges fiançailles = acte II ; assassinats et cuisine mêlés = acte III) qui émerge progressivement des très longs récits du Docteur.

La compréhension de ce qui se passe, tant dans le plan du présent que dans celui du passé du protagoniste, fonctionne souvent par après-coups; par exemple, on découvre seulement aux deux tiers de l'acte III, au moment où meurt Pizzo, que le Docteur a tué Marbone à la hache pendant le premier entracte.

L'écriture nous fait passer, et souvent sans que nous nous en rendions compte, du grotesque provocateur au tragique. Dans les superbes récits du Docteur qui sont de véritables défis à l'acteur, le lyrisme heureux ou triste surgit de la banalité et de l'apparente indifférence, et les actions scéniques, triviales et symboliques, transforment audacieusement les W.C. publics -restaurant de luxe-abattoir- en une sorte de métaphore du destin humain rabattu rageusement sur la seule chaîne alimentaire, de tuer -pour vivre- au déféquer.

C'est que, dit le Docteur – c'est-à-dire, ici, l'auteur- "Si j'avais été un citoyen de la Grèce Antique, j'aurais probablement vécu en racontant des épopées… Aujourd'hui, il n'y a plus de héros, et raconter est devenu difficile". L'horreur, un moment, serait donc ainsi devenue la seule "échappée belle" de Rocco d'Onghia, en même temps que son défi.