Écriture

  • Pays d'origine : Uruguay
  • Titre original : Kiev
  • Date d'écriture : 2004
  • Date de traduction : 2007

La pièce

  • Genre : Dramatique
  • Nombre d'actes et de scènes : 4 actes
  • Décors : Extérieur, sur la terrasse d’une vaste propriété. Une piscine et des meubles de jardin, années 30, baie vitrée de la maison vue de l’extérieur. Au loin, une bretelle d’autoroute, des hangars et un centre commercial.
  • Nombre de personnages :
    • 5 au total
    • 3 homme(s)
    • 2 femme(s)
  • Durée approximative : 2h
  • Création :
    • Période : 2007
    • Lieu : Comedia Nacional Montevideo
  • Domaine : protégé

Édition

Cette traduction n'est pas éditée mais vous pouvez la commander à la MAV

Résumé

Kiev a pour hypertexte La Cerisaie de Tchekhov. L’auteur y expose l’irrémédiable triomphe du projet immobilier de la bourgeoisie naissante du XIX° qui prétend édifier un futur meilleur et plus rentable. Kiev nous introduit progressivement au plus profond de la violence de la mémoire individuelle et historique. Peu à peu, autour d’une mystérieuse piscine qui invite les personnages à s’immerger dans les eaux troubles d’un passé irrésolu, les échos insupportables d’une série de crimes, d’assassinats, de supplices et de disparitions se font entendre et perturbe un groupe d’individus venu donner congés à ce lieu de mémoire amnésique. Le martyre de saint Sébastien constitue le moteur de l’œuvre et le personnage du fils, cloué sur sa chaise roulante, devient la figure centrale du monde actuel écrasé par le silence.

De multiples conflits s’entrecroisent et transportent le lecteur dans le labyrinthe de la langue elle-même. La violence se déploie progressivement jusqu’à toucher les endroits les plus abstraits de nos êtres. Elle nous découvre des images fascinantes, à l’origine du monde, pour évoquer ce que sont les régimes dictatoriaux.

 

Une famille revient donc sur les lieux de sa villa de vacances pour, tout comme dans la pièce de Tchekhov, lui dire au revoir et se remémorer d’anciens temps nostalgiques. Sous la forme d’emboîtements, telles des poupées russes, l’on découvre progressivement que cette villa a été un centre de torture sous la dictature, et qu’une fois vendue, elle sera destinée à être démolie afin de devenir un centre commercial, où seront plantés des cerisiers dans l’espace du parking. Ainsi, tel un palimpseste, on aperçoit l’éternelle logique de la destruction et de la reconstruction. La mémoire d’une violence inouïe s’efface pour devenir une lointaine image enfouie dans le souvenir du temps. 

Regard du traducteur

Ce projet s’inscrit dans ma logique de traducteur et de ma rencontre avec un auteur et l’ensemble de son œuvre. Au cœur de celle-ci, le monde politique se déplace aux confins familiaux puis à l’intérieur même de la langue.

Kiev est le deuxième volet d’une trilogie, amorcée par .45’, déjà traduit et publié aux éditions Indigo en 2003. Une nouvelle version est disponible.

Kiev est une pièce qui tente de mettre à jour le lien entre la mémoire collective et la mémoire individuelle. C’est ce carrefour même qui dévoile la violence du monde comme reflet de celle que nous portons en nous.

La logique de cette œuvre est avant tout le mystère, celui de la langue et de ses liens avec l’histoire et son actualité. Le, les, drame(s) se déroule(nt) toujours dans des espaces clos, où la langue théâtrale, hyperréaliste, nous inscrit dans un vaste réseau dramaturgique, loin du drame social proprement dit.

La construction dramaturgique y est forte. Des conflits et des sous-conflits se croisent et s’entrecroisent. Ils nous transportent dans le labyrinthe de la langue elle-même. La violence se déploie alors progressivement jusqu’à toucher les endroits les plus abstraits de nos êtres.

Kiev opère autour de la figure de la mère (le troisième volet de la trilogie, Opus sextum, est autour de la figure des frères). Le père dévore ses propres fils, et la mère, aussi monstrueuse, allaite cette violence (on parle de Rome). Sergio Blanco travaille sur les mythes fondateurs de nos cités et de leurs perspectives dans le monde actuel.

Kiev se construit à travers le texte de La Cerisaie comme hypertexte, mais il se fonde sur le martyre de saint Sébastien. Le personnage du fils, cloué sur une chaise roulante. L’auteur nous dévoile sa torture au ralenti (je tente de souligner l’aspect cinématographique de son écriture en décomposant la syntaxe des didascalies). Les personnages deviennent des effigies dépossédées de leur langue et jouent sur des va-et-vient entre incarnation et marionnettisation.

Kiev se déroule en 3 jours, un vendredi, Saint, un samedi, de la Passion et un dimanche, de Pâques. Durant le déjeuner du samedi de la Passion, les personnages évoquent les raisons de la disparition de Kiev, qui vient de « se réveiller morte » : aucun survivants, juste une horde de loups en cavale… En fait, ce déjeuner est une messe noire de la célébration même de l’eucharistie : le corps du Christ devient chair, nourriture de monstres, à côté d’une piscine en putréfaction, symbole et tombeau des corps en putréfaction. La dramaturgie crée des espaces sous forme de poupées russes, où les corps se retrouvent face à face avec la langue.

Il y a un double temps dans la langue même qui nous installe dans un étaux et nous oppresse. C’est le ressenti de cette langue, constamment à l’œuvre, qui nous place au cœur d’une littérature dramatique « mortifère et dégoulinante de vie ».