Jours heureux dans la chambre blanche au-dessus du marché aux fleurs

de Rocco d' Onghia

Traduit de l'italien par Ginette Herry

Avec le soutien de la MAV

Écriture

  • Pays d'origine : Italie
  • Titre original : La camera bianca sopra il mercato dei fiori
  • Date de traduction : 1996

La pièce

  • Genre : Parabole sur le sort des utopies contemporaines ; atmosphère à la Chirico
  • Nombre d'actes et de scènes : 3 actes, respectivement 6, 5 et 6 scènes
  • Décors : Une maison à deux étages vue en coupe, de moins en moins dégradée au fil des actes
  • Nombre de personnages :
    • 5 au total
    • 3 homme(s)
    • 2 femme(s)
  • Durée approximative : plus de 2h
  • Création :
    • Période : avril 1995
    • Lieu : Teatro Studio du Piccolo Teatro de Milan
  • Domaine : l'auteur + Editions Ricordi Teatro

Édition

Résumé

I. "Flux et reflux de la mort". Dans la grande maison aux chambres blanches dévastées, sous la pluie et le vent, trois vieillards et deux vieilles femmes sont enfermés. Un cataclysme a détruit la ville et sans doute le monde. Même les vivres manquent ; Sante (80 ans) s'est approprié ce qu'il en reste et tyrannise ses compagnons. Incapables de vivre, ils sont aussi incapables "d'apprendre à mourir" : ils dorment, avec des pans de mémoire qui par moments se ravivent au sujet d'un certain Marcello, "l'homme au coeur de vent". .II. "Les heures coulent trop lentes". Les mêmes, vingt ans plus tôt, dans la même maison qui a seulement commencé à se dégrader. La ville semble au bord d'une catastrophe, mais les cinq personnages y ont encore une vie professionnelle et familiale ; ils ne peuvent s'empêcher de revenir de temps en temps dans la maison aux chambres blanches que Sante avait achetée quand ils étaient étudiants pour en faire "l'ailleurs" d'une initiation, par le partage amoureux, à l'utopie de la vie partagée. La horde des morts-de-faim prend d'assaut la maison aux chambres blanches que Sante entend défendre sauvagement. .III. "Là où la fin a commencé". Les mêmes vingt ans plus tôt, quand la maison était dans toute sa splendeur et accueillait les cinq compagnons pour des fêtes libertines organisées par Sante. Mais déjà la nostalgie du temps où ils n'avaient pas encore cédé aux compromissions de la vie les taraude, et s'incarne dans le souvenir de Marcello, "l'homme au coeur de vent" qui les a quittés sept mois plus tôt et a sans doute conservé intactes, dans un véritable et lointain "ailleurs", sa pureté et leur utopie. En fait, Marcello a passé ces sept mois tout près, dans une autre chambre blanche où une maladie incurable, lentement, l'a détruit. Il a voulu revenir mourir dans la grande maison, mais seul l'un de ses anciens compagnons sait l'y accueillir, et l'aider à mourir pendant que les autres continuent leur fête stérile et "laissent mourir la poésie" sans s'en apercevoir : "Qui nous pardonnera ?".

Regard du traducteur

Pièce étrange, comme toutes celles de Rocco D'Onghia (voir par ex. la fiche sur Leçons de cuisine d'un habitué des W.C. publics, traduite également par G. Herry).

Déjà la construction à rebours est singulière. Cette parabole nous conduit de l'impossibilité d'apprendre à mourir pour trois hommes et deux femmes (84 à 71 ans), reclus et devenus des sortes de larves dans un monde d'après l'apocalypse (acte I), à l'incapacité dans laquelle les mêmes se retrouvaient déjà, 40 ans plus tôt (44 à 31 ans), d'assumer la déroute subreptice d'une utopie qu'ils avaient conçue ensemble à 20 ans (acte I).

Même si la souffrance personnelle ne leur a pas été épargnée (amours douloureuses, faillite d'une amitié et d'un couple, perte d'un enfant...), ils n'ont pas su utiliser, dans la société réelle où ils ont continué à vivre, "la fortune, le pouvoir, le talent, la beauté" qui leur avaient été donnés en partage, et leur expérimentation d'un "ailleurs" au coeur de la ville, d'un lieu où inventer une "autre" vie par une "autre" socialité - "Jours heureux dans la chambre blanche au-dessus du marché aux fleurs" -, a tourné imperceptiblement à la recherche de l'oubli et à la jouissance des privilèges de l'argent et de la culture dans une sorte de forteresse du plaisir au milieu d'une ville en crise que mine le besoin. Cette parabole à la morale amère nous inviterait-elle à faire le bilan de notre seconde moitié du XXe siècle en nous demandant non pas : "Qui nous pardonnera ?" (fin de l'acte III), mais "Que nous est-il arrivé ?"

L'imaginaire concret qui préside à l'écriture de chacun des trois actes est aussi très singulier, et dans ce qui n'est pas dit comme dans les indices fournis, l'auteur nous fait sans cesse frôler l'énigme : celle de notre condition d'hommes si prompts à oublier les "valeurs" pour se livrer aux "instincts", celle de certains des possibles futurs proches de notre humanité.

Rocco D'Onghia dit que chacun des trois actes peut être joué comme une pièce autonome. Pourquoi pas. Mais ce serait dommage de ne pas tenter l'aventure totale, une fois l'unique décor conçu et construit. Il dit aussi qu'on peut renverser l'ordre proposé et aller de l'acte III à l'acte I. Est-ce si sûr ? Ce jeu ne me semble pas à tenter, en tout cas, pour la conduite de la traduction.