Fureurs

de Boyan Papazov

Traduit du bulgare par Athanase Popov

Avec le soutien de la MAV

Écriture

  • Pays d'origine : Bulgarie
  • Titre original : Bjas
  • Date d'écriture : 1993
  • Date de traduction : 2008

La pièce

  • Genre : hypnodrame
  • Nombre d'actes et de scènes : 14 scènes avec un prologue et un épilogue hypnotiques
  • Nombre de personnages :
    • 6 au total
    • 3 homme(s)
    • 3 femme(s)
  • Durée approximative : 2h30
  • Création :
    • Période : 2007
    • Lieu : Théâtre de Stara Zagora, Bulgarie
  • Domaine : protégé : l'auteur

Édition

Résumé

Fureurs est une pièce sur le péché collectif, clanique, et la malédiction bicentenaire qui pèse sur un clan familial. Du point de vue de l’intrigue, il s’agit d’un thriller politique. Le « clan maudit » de Rada Frateva[1] ne trouve de salvation que dans l’imploration du pardon. L’hypnothérapie et le marketing politique appliqués aux foules servent d’outils dramatiques.

La pièce est constituée de 14 scènes, avec un prologue et un épilogue hypnotiques. Trois générations se rencontrent: Eva Gerin (35 ans), hypnothérapeute, Sotir (25 ans), étudiant en marketing politique et Jasen (Yassène) le Passant (35 ans) d’un côté ; Teo Gerin (Guérine gynécologue et père d’Eva et de Sotir (mais avec des femmes différentes) et son épouse Rada Frateva de l’autre ; enfin Božija (Bojiya), femme sans âge (50 à 70 ans), qui paraît la plus âgée de tous, et qui garde des souvenirs de toutes les époques.

Le principe même de l’intrigue part de la décision de la juriste Rada Frateva de faire son entrée en politique en fondant le Parti des descendants de réfugiés. Une éventuelle victoire de ce Parti ferait d’elle la future Première ministre. Son lignage est issu de réfugiés de la Thrace égéenne, et la campagne du nouveau Parti mise notamment sur la défense desdits descendants de réfugiés. Elle a longtemps hésité, mais elle finit par accepter sous les encouragements du fils illégitime de Teo Gerin, Sotir, qui a l’ambition d’entamer sa carrière par la campagne politique de Rada. Eva se montre plutôt réservée, tandis que Teo Gerin est indifférent. Tous les quatre entretiennent de bonnes relations bien qu’ils ne soient pas une vraie famille. Rada, qui ne peut pas avoir d’enfants, considère Eva et Sotir comme sa propre progéniture. Or, son intention d’entrer en politique est menacée par des pages sombres de son histoire familiale.

La personne qui connaît les histoires de chacun n’est autre que Božija. Sotir essaie de la faire passer pour une personne souffrant de troubles psychiques, ayant besoin de suivre un traitement. C’est pour cette raison que Teo et Eva décident d’envoyer Božija à l’étranger. Mais ils ignorent que cela arrange Sotir, qui voudrait faire du chantage à Rada grâce à elle...

Le dénouement de l’action démontre que Rada, Teo et Božija ont commis des péchés ou en ont hérité, et ces derniers sont reliés entre eux de façon mystérieuse. Rada est l’héritière du brigand le Péteux, qui a accumulé sa fortune par le trafic d’esclaves capturés dans son propre village. La sœur de la grand-mère de Božija, Mara, était l’une d’elles. Le Péteux a obligé la grand-mère de Božija[2] à lui dédier un chant, mais sa mère la conjure de ne pas composer de chant en l’honneur de la personne qui a réduit sa sœur en esclavage. Božija ne respecte pas son vœu, toutefois elle compose un chant dans lequel elle maudit le lignage des Péteux, tout en leur offrant la possibilité de se racheter en faisant bâtir un monastère pour honorer la mémoire de Mara. Mais Božija est maudite par sa mère pour avoir chanté en outrepassant l’interdiction. C’est la raison pour laquelle Božija, la petite-fille, ne peut pas chanter éveillée – elle ne peut le faire que sous hypnose.

Božija a été l’amie de Stefa, la femme avec laquelle Teo a eu son fils illégitime Sotir, et qu’il a refusé de reconnaître. Elle se rappelle la mort de Stefa, suite à laquelle Rada et Teo ont refusé de donner de l’argent à Sotir pour qu’il rentre de Londres pour l’enterrement de sa mère, alors même qu’ils avaient largement de quoi l’aider financièrement.

Le dénouement commence lorsque Božija, poussée par la pseudo voyante trouvée par Sotir, va se faire soigner chez Eva. Cette dernière fait entrer Božija dans un état d’hypnose régressive (Božija se transporte à l’époque où elle était petite fille et se met à répéter les paroles de sa grand-mère) et apprend ainsi l’histoire du lignage des Fratev. Rada Frateva décide de renoncer à sa carrière politique, car elle ne peut pas supporter l’opprobre lié à son arrière-grand-père esclavagiste. Mais Sotir a prévu une astuce pour se tirer d’affaire, consistant à proposer à Rada d’annoncer l’édification d’un monastère dans les Rhodopes, sa consécration devant intervenir pendant la campagne des législatives.

[1] De fart, « péter » en anglais, qui a donné Fratev/a par métathèse, ce qui est une reprise du sobriquet des « Péteux » donné au lignage de Rada.

[2] En Bulgarie, les enfants portent très souvent les prénoms de leurs grands-parents. Pour les Bulgares, il va sans dire qu’en fonction de l’époque, il s’agit tantôt de la grand-mère, tantôt de la petite-fille, bien que toutes deux portent le même prénom, et sans qu’il soit besoin de le préciser dans le texte de la pièce.

Regard du traducteur

Fureurs est une pièce où l’esthétique du sublime est la plus présente dans l’œuvre de Papazov – le « sublime » au sens kantien de ce qui se différentie du beau par l’état de stupeur qu’il provoque. Papazov s’est essayé à la plupart des genres du théâtre, il les a mélangés, il a tenté d’en créer de nouveaux. Dans cette pièce, les recherches ethnographiques et historiographiques ont été poussées le plus loin (elle a été écrite sur une période de douze ans). Il est donc trop risqué de prétendre en faire une analyse globale. Néanmoins, on peut soutenir qu’elle représente le couronnement de la démarche créatrice de Papazov. Le dramaturge bulgare explique dans des entretiens accordés à la presse ainsi que sur la quatrième de couverture du recueil de nouvelles Tout n’est qu’amour [Vsičko e ljubov] qu’il se considère davantage comme un compilateur que comme un écrivain. Pourtant, il ne renonce pas à la vocation d’écrivain. Il n’y a là aucune contradiction : Papazov se sert de l’hyperréalisme tout en se démarquant résolument de l’écriture réaliste. Ses œuvres littéraires ne sont pas des œuvres à thèse, même si de multiples conflits de valeurs apparaissent en filigrane. En disant qu’il ne suit pas la démarche habituelle des écrivains du monde entier, il veut tout simplement dire qu’il n’assène pas au lecteur/spectateur son style, son intention créatrice, mais que son intention créatrice et son style sont puisés auprès du lecteur et du spectateur, ainsi que dans la tradition orale et écrite. Papazov est probablement le seul écrivain au monde qui n’essaie pas de développer son propre style, pour au contraire essayer de s’approprier les paroles des autres. De ce fait, chacune de ses œuvres est un microcosme en elle-même, qui fonctionne selon sa logique propre, avec sa langue propre, mais qui se rattache toujours à la vie par un aspect hyperréaliste, même quand le comique ou la parodie sont poussés très loin. Il y a là quelque chose de très innovant pour la littérature mondiale : un écrivain qui veut se mettre en retrait par rapport au public, sans toutefois s’en exclure lui-même (d’où l’omniprésence de l’autoironie et des références personnelles dans Fureurs). Un écrivain réaliste veut souvent changer le monde, il ne le décrit que pour introduire une intentionnalité, un style qui lui sont chers. Papazov, au contraire, travaille sur le long terme pour arriver à ne pas écrire ce qu’il aurait spontanément envie d’écrire ou de dire. Il déterre des éléments de corpus lexicaux et des références culturelles qui sont devenus marginaux y compris aux yeux des spécialistes. Le produit final n’est pas fait pour plaire à tout le monde, mais il ne laisse jamais indifférent. Dans Fureurs, ce sont la pulsion du pouvoir et la perversion inhérente à toute démarche politique moderne qui sont stigmatisés, mais pas nécessairement le principe même de l’engagement politique en tant que tel. Chacun s’y retrouve plus ou moins. Curieusement, c’est probablement la pièce papazovienne aux résonances les plus universelles en dépit du support factuel intrinsèquement balkanique, dans le sens où la méconnaissance des références culturelles ne gêne aucunement la perception de la problématique du pouvoir et de l’entrée en politique.