Le titre de la pièce s’inspire de celui d’un discours intitulé In Event of Moon Disaster, écrit pour Richard Nixon dans l’éventualité où la mission Apollo XI ne serait pas revenue sur Terre. Andrew Thompson s’en sert comme rampe de lancement pour nous faire voyager entre passé (1969), présent (2017) et futur (2055). Il met en scène trois femmes au caractère bien trempé, grand-mère, belle-fille et petite-fille, autour desquelles gravitent des hommes.
En 1969, la jeune Sylvia Moone s’ennuie sur Terre en regardant l’alunissage d’Apollo XI. Pour satisfaire ses rêves d’évasion et d’absolu, elle imagine que le géniteur de son fils était astronaute. Ce faisant, elle rejette Dennis, qui est fort probablement le véritable père de son fils Neil.
En 2017, Neil est en recherche d’un père qu’il n’a jamais connu et ne sait plus s’il doit croire à la fable cosmique de sa mère devenue sénile, alors que lui et sa femme Julie ont du mal à concevoir un enfant. Au moment où ils perdaient espoir d’être parents un jour, Julie tombe enceinte d’une fille.
En 2055, cette fille, elle aussi prénommée Sylvia, fait le choix d’abandonner les siens et notre planète pour devenir la première astronaute à se poser sur Mars. La scène finale, brève et silencieuse, où on la voit disperser les cendres de Neil aux quatre vents de la planète rouge, est d’une symbolique émouvante et inspirante, une manière poétique de boucler la boucle, de mettre une dernière fois en lumière les tiraillements et les contradictions dont nous sommes faits, partagés que nous sommes entre nos préoccupations de mortels et notre quête d’infini. Et de nous rappeler que le cordon ombilical n’a que peu de rapport avec l’éloignement dans le temps ou l’espace.
In Event of Moone Disaster est une subtile allégorie au sujet des distances entre les êtres et de la transmission entre générations. Le ton rythmé qui oscille entre humour terre-à-terre et poésie cosmique, le propos qui fait la navette entre conquête de l’espace et préoccupations familiales, entre rêves, ambitions et regrets, nous offrent une pièce divertissante, touchante et universelle.
Les sauts temporels fréquents d’une époque à l’autre (1969, 2017 et 2055) qui, selon les recommandations mêmes de l’auteur, doivent en plusieurs occasions s’enchaîner de façon fluide, m’ont motivé à assurer une traduction capable de respecter la dynamique d’une trame chronologique qui nécessitera une mise en scène inventive, sachant que l’actrice principale joue deux personnages à trois époques différentes et devra changer d’apparence et de décor rapidement.
La vitalité insufflée par ces flashbacks et flashforwards se retrouve dans le style direct de nombreuses répliques. La vivacité du verbe, les formules choc et la dimension tragi-comique de la pièce m’ont conquis. J’ai voulu faire partager le plaisir jubilatoire que provoque sa lecture à un public francophone, tout en respectant l’énergie que véhicule sa version originale.
Concernant la traduction, le jeu de mots présent dans le titre (Moon – « lune » en anglais - et Moone, nom de famille des personnages principaux), leitmotiv qu’Andrew Thompson utilise à plusieurs endroits clés du récit, fut un défi mais également une source de motivation. Je me suis senti un devoir de rester fidèle à la force de l’idée contenue dans ce double sens, ce lien qu’il établit entre astre lunaire et féminité, entre désirs qui nous transportent et réalités terrestres qui nous maintiennent enracinés. L’exercice d’équilibriste que représentait sa retranscription en langue française (alors qu’il est intraduisible littéralement) fut plus un stimulant qu’une contrainte. Le choix de traduction du titre en français en découle (Désastres et des lunes).