Comité linguistique Lituanien

À propos

La dramaturgie lituanienne fut influencée par les péripéties de son histoire ainsi que par le caractère national propice à la poésie (teintée de mélancolie), à la musicalité et à l’humour : elle garde toujours des éléments poétiques, surréels, littéraires plus importants que le dynamisme de l’action. À partir des années quatre-vingt-dix, la fin de l’occupation soviétique, elle se montre plus active avec les premières pièces de Sigitas Parulskis, puis celles de Marius Ivaškevičius, Gintaras Grajauskas, Laura Sintija Černiauskaitė, Daiva Čepauskaitė (il est intéressant de noter que tous ces auteurs, à part Ivaškevičius et Černiauskaitė, se sont manifestés en tant que poètes). En 1997, en collaboration avec le metteur en scène Oskaras Koršunovas, Parulskis créa une pièce-phénomène intitulée P.S. Dossier O.K. qui fit scandale et provoqua un conflit parmi les critiques du théâtre. Le texte semblait choquant, il attaquait les fondements de la langue : il était truffé de paradoxes, de sous-entendus, de mots interdits par les puristes qui renvoyaient tantôt au quotidien, tantôt à l’irréel et aux mythes bibliques. Il annonçait les débuts de la dramaturgie lituanienne post-soviétique.

Traductions

En ce qui concerne la traduction de textes de Parulskis, notre choix, avec mon collaborateur Laurent Muhleisen, s’est porté sur Le Trou de Séléné (1999) puis sur Solitude à deux (2001).

La thématique de la pièce Lucie patine (2003) de Laura Sintija Černiauskaitė est proche de celle de Solitude, ses héros semblent plus ancrés dans le réel que ceux de Parulskis : de manière très poétique, nostalgique du monde de l’enfance, tout en remontant le temps vers l’enfance de deux héros jusqu’à l’histoire de leurs parents, l’auteur raconte la nécessité et la difficulté d’aimer.

Dramaturge venu du monde de la poésie, Gintaras Grajauskas, avec sa Réserve (2004), nous transporte dans un univers imaginaire des Indiens de l’Amérique – tels que nous, anciens enfants du régime soviétique, les imaginions en lisant l‘auteur allemand Karl May. La pièce est pleine de références à l’actualité (clonage, produits génétiquement modifiés, société de consommation) mais nullement réaliste, pétillante d’humour et à la fois lyrique, humaniste, métaphorique de la condition humaine.

Le plus productif et le plus traduit des auteurs lituaniens contemporains est Marius Ivaškevičius, il est aussi scénariste et réalisateur de cinéma. Marius émergea sur la scène lituanienne en 1998 avec sa pièce Le Voisin traitant le sujet de la proximité, du voisinage et ses différentes facettes. C’est un dramaturge persévérant et capable de toujours surprendre. Son style se distingue par un humour particulier, souvent basé sur la langue, mais portant aussi sur la condition humaine en général. Avec Laurent Muhleisen, nous avons traduit, outre Le Voisin en 1999, Le Petit en 2001, dont l’action a lieu en 1940-45. C’est un récit sur deux familles, lituanienne et sibérienne, divisées par la guerre et l’exil. Malgré le sujet dramatique, l’histoire est racontée de manière jouissive, amusante, comique, et d’autant plus touchante.

Parmi les œuvres d’Ivaskevicius traduites en français, La ville d‘à côté reste une pièce à part, inspirée d‘un fait divers (2005). Elle raconte l‘histoire d’Anika Svantensson, « mère de famille nombreuse ». Quand fut ouvert le pont entre Malmö (Suède) et Copenhague, Anika, suivant l‘exemple de son mari Svante, prit l‘habitude de le traverser pour aller à Copenhague et y vivre une autre vie. La pièce, a été montée en France au cours de la saison 2014/2015 dans une mise en scène de Thierry Blanc.

La dernière des pièces historiques, traduites en français, de l’auteur est Kant (2013), qui relate un déjeuner chez Immanuel Kant, le philosophe. Kant est une pièce d’une drôlerie étonnante. Il n’y a pas d’action « dramatique » apparente mais une suite de dialogues finement tissés. La situation de la pièce – ces déjeuners quasi rituels – a été empruntée par l’auteur à la biographie de Kant mais, à part quelques actualités de l’époque, elle n’est nullement réaliste du point de vue historique.

D’autres pistes

Pour conclure, plusieurs autres noms seraient à retenir dans la dramaturgie contemporaine lituanienne : Daiva Čepauskaitė avec ses pièces Les Haricots (2006) - savoureux dialogue d’un vieux couple coincé dans un ascenseur qui se rappelle sa vie et la commente, tout cela mélangé avec les motifs d‘un conte folklorique, et Le Fossé (2011) qui raconte l‘Holocauste à travers le récit de grand-mère Golda à sa petite fille Milda, et où s’entremêlent l‘histoire et la poésie, l‘humour juif.

Gabrielė Labanauskaitė, intéressée surtout par les questions de l’identité féminine, des cultures marginales, se fit connaître par sa pièce Les Lacets rouges (2011).

Quant à Mindaugas Nastaravičius, poète lui aussi, il se distingue par sa maîtrise du dialogue et la dérision sociale ; sa pièce Le Poulailler (2012), traduite en français, a été mise en scène par Bob Dantonel à St. Étienne, et sa pièce la plus récente, La Démocratie, fait actuellement un tabac au théâtre national de Vilnius. Il est intéressant que de plus en plus d‘équipes formées de comédiens et de metteurs en scène créent eux-mêmes la dramaturgie de leurs spectacles en se basant sur leur propre expérience et en puisant dans les contes, drames et les mythes anciens.

Akvilė Melkūnaitė
traductrice, coordinatrice du comité lituanien
mai 2015