De la vie de Komikaze

de Alexéi Chipenko

Traduit du russe par Lily Denis

Écriture

  • Pays d'origine : Russie
  • Titre original : IZ JYZNIKOMIKADZE
  • Date d'écriture : 1992
  • Date de traduction : 1995

La pièce

  • Genre : Théâtre de l'absurde, mais bien plus que ça. Inclassable
  • Nombre d'actes et de scènes : 1 acte. Le texte doit être dit en continuité.
  • Décors : un seul
  • Nombre de personnages :
    • 8 au total
    • 8 homme(s)
  • Durée approximative : 2h, des coupures sont possibles
  • Création :
    • Période : 1993
    • Lieu : Volskbühne de Berlin
  • Domaine : protégé

Édition

Résumé

A première vue, c’est l’histoire bouffonne d’un kamikaze japonais, maître de l’eau et du ciel, qui atteint toujours sa cible, détruit toujours son avion, ne meurt jamais et recommence, recommence à l’infini. Et à chaque fois, on lui fait des obsèques nationales. L’anecdote, toute en retournements de sens et en contre-pied, ne saurait être résumée en termes de récit logique. Autre chose est, on va le voir, de son contenu profond. Je renvoie, pour la suite, au « regard » sur la pièce.

Regard du traducteur

On reçoit d’abord la pièce comme une succession de dialogues burlesques où la satire (des rapports hiérarchiques principalement) et l’absurde sont rois. Dialogues avec de hauts responsables qui s’appellent ŒIL POUROEIL ET DENT POURDENT (tiens !) avec un CHARPENTIER constamment en quête de clous (tiens, tiens !) et un COMEDIEN es pion, délateur, kamikaze lui aussi, mais chinois. Et d’autres encore.

Sur une structure répétitive toute en images récurrentes, la drôlerie, l’incongru, un abracadabra de mots saugrenus et distordus, d’invraisemblances, d’inepties, s’égrènent. Mais…

Mais quelques formules des Ecritures (… et KOMIKAZE était son nom…) Abram engendra Isaac, Isaac engendra Jacob… et Marie engendra Komikaze) etc. plus sept brèves citations de la Genèse et de l’Evangile selon Saint Jean, nous dirigent vers des évocations plus graves. A la fin de la pièce, ce pourrait être un questionnement de l’universel.

Les répétitions, les récurrences ne sont pas vaines, ne sont pas là comme autant de déclencheurs mécaniques du rire. Elles introduisent, entre autres, une sensation aiguë de rituel. Rituels sont devenus les raids de KOMIKAZE (au début de la pièce, il y en a déjà eu 28), rituel le rasoir coupe-chou de son grand-père qu’il exhibe à tout bout de champ, rituel le sabre de samouraï d’ŒIL POUROEIL, bien héréditaire qu’il exhibe de même à tout bout de champ, rituel dérisoire, le peigne de plastique que DENT POURDENT sort périodiquement de son étui pour y mettre le feu.

Du rituel théâtral au rituel social ou même religieux, il n’y a qu’un pas que CHIPENKO ne franchira qu’à la fin d’une action au long de laquelle il se sera contenté de nous envelopper sans jamais rien expliciter.

De comique déclaré en effleurements spirituels, le développement progresse. Un développement où la mort –souvent joyeuse- pareille à une ritournelle carnassière, est constamment présente. On croit, au début, que KOMIKAZE est immortel, qu’il reprendra ses raids à l’infini. Mais non, à la fin, à son trente-troisième raid, il ne reviendra pas à la base. Trente-trois ans, l’âge du Christ, façon de dire que le premier fantasme d’immortalité bascule dans une autre immortalité.

Les autres personnages meurent presque tous, sauf une Chinoise de rêve plongée dans un aquarium. Et même le COMEDIEN, qui pourrait bien être le diable, meurt.

La référence christique -et à certains moments (rares) elle évoquerait plutôt quelque chose comme des « versets sataniques »… de la Bible- l’Ancien et le Nouveau Testament dominent, vous cernent et, sybillins, énigmatiques, atteignent au charme surréel, à l’enchantement ambigu d’un poème nécessaire. Poème comme Gogol a intitulé « Les Ames Mortes ». De la vie de Komikaze est une rhapsodie des temps modernes où l’ombre des Ecritures conserve sa pérénité.

La forme : De la vie de Komikaze est présenté en 115 séquences qui ne sont que des artifices d’écriture : certaines sont de véritables scènes, d’autres ne sont qu’un fragment de phrase. Qu’on ne s’y trompe point : cette mosaïque est parfaitement organisée. L’insolite des situations et des moyens exige du metteur en scène une grande virtuosité.